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L'alpiniste Elisabeth Revol lors d'une interview exclusive à l'AFP dans un hôpital à Sallanches, dans les Alpes françaises, le 31 janvier. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
À Sallanches (Haute-Savoie, alpes françaises), où elle est soignée pour des gelures graves aux deux mains et au pied gauche, ce petit bout de femme - 1m56 pour 43 kg en retour d'expédition - relate sobrement, techniquement, son ascension du Nanga Parbat (8.126 m) au Pakistan - une première pour une femme en hiver, sans oxygène ni sherpa.
"C'était ma 4e tentative hivernale, la 7e pour Tomek et la 3e ensemble", détaille la rescapée. En "himalayistes" expérimentés, ils affrontaient de nouveau cette montagne dite "tueuse" sans appréhension, malgré les risques "que l'on accepte".
Partie de France le 15 décembre, Elisabeth Revol s'était engagée le 20 janvier, encordée avec ce "passionné" de Polonais "en communion avec la montagne", dont elle parle encore au présent.
Quelques jours plus tard, à plus de 7.000 m d'altitude, ils touchent au but. "On était bien à ce moment-là", confie-t-elle, les yeux pétillants. Ils tâtonnent pourtant dans "le cheminement compliqué" de la pyramide sommitale. À 17h15, un peu en retard, ils hésitent mais l'envie l'emporte : 45 minutes plus tard, c'est gagné.
Mais le plaisir est de courte durée.
"Là Tomek me dit +je ne vois plus rien+. Il n'avait pas utilisé de masque car il y avait un petit voile pendant la journée et à la tombée de la nuit, il a eu une ophtalmie (inflammation de l'œil, NDLR). On n'a pas pris une seconde au sommet. C'était la fuite vers le bas".
Message de détresse
Tomek s'accroche à une de ses épaules et tous deux entament une "descente très longue" en terrain plus que difficile, de nuit.
"À un moment, il n'arrivait plus à respirer, il a enlevé la protection qu'il avait devant la bouche et a commencé à geler. Son nez devenait blanc et puis après les mains, les pieds", détaille celle qui envoie alors un message de détresse.
Au bas d'une cuvette, ils se mettent à l'abri du vent, mordant, dans une crevasse. Tomek n'a plus la force de remonter au camp. Au lever du jour, la situation est dramatique : "il avait du sang qui coulait en permanence de sa bouche". Des signes d'œdèmes, stade ultime du mal aigu des montagnes, fatal si le blessé n'est pas soigné dans les plus bref délais.
"J'ai alerté un peu tout le monde, parce que Tomek ne pouvait pas redescendre tout seul", poursuit "Eli".
Des messages sont échangés pour organiser les secours. Dont certains se sont perdus dans l'immensité himalayenne, suscitant des incompréhensions. "On m'a dit : si tu descends à 6.000 m, on peut te récupérer et on peut récupérer Tomek à 7.200 m (en hélicoptère, NDLR). Ça s'est fait comme ça. Ce n'est pas une décision que j'ai choisie, mais qui m'a été imposée".
À Tomek qu'elle quitte alors, elle dit simplement : "écoute, les hélicos arrivent en fin d'après-midi, moi je suis obligée de descendre, ils vont venir te récupérer".
Elle envoie le point GPS de sa position, protège son ami tant bien que mal et, persuadée d'une issue heureuse, part "sans rien prendre, ni tente, ni duvet, rien". "Parce que les hélicos arrivaient en fin d'après-midi", ressasse-t-elle. Mais ils ne sont pas arrivés.
Hallucination
C'est donc une seconde nuit dehors, "sans équipement" comme Tomek dans sa crevasse. "Je savais que j'allais m'en sortir, j'étais dans mon trou, je grelotais de froid mais je n'étais pas dans une position désespérée. J'avais plus peur pour Tomek, beaucoup plus affaibli".
L'alpiniste Elisabeth Revol lors d'une interview exclusive à l'AFP dans un hôpital à Sallanches, dans les Alpes françaises, le 31 janvier. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
L'altitude lui provoque alors une hallucination - elle y avait toujours échappé jusqu'alors. Elle imagine qu'on vient lui porter "du thé chaud" et que pour "remercier, il faut donner une chaussure". Elle passe le pied à l'air pendant 5 heures. C'est la gelure.
Quand le jour revient, elle compte toujours sur les secours. Posée à 6.800 m, Elisabeth décide de ne pas bouger, pour "se préserver, emmagasiner de la chaleur". Elle entend une rotation d'hélicoptère en bas du glacier "mais il était déjà trop tard, le vent se levait".
Quand elle apprend que l'hélicoptère ne pourra venir que le lendemain, et qu'elle va devoir passer une troisième nuit dehors, elle choisit de descendre. "Ça commençait à être une question de survie", dit la jeune femme, qui n'avait pas reçu le texto lui annonçant que deux alpinistes polonais partaient à sa rencontre.
Elle décrit une descente prudente, "calme", malgré des "gants humides", le "froid vif" qui gèle ses doigts et la "douleur" dès qu'elle tient une des cordes fixes de l'itinéraire. Vers 03h30 du matin, elle atteint le camp 2 vers 6.300 m. "J'ai vu deux frontales dans la nuit. Je me suis mise à hurler et je me suis dit : c'est bon", ajoute l'alpiniste dont la voix se brise dans un sanglot.
"Ça a été une grosse émotion", admet cette grande pudique. D'autant que ses deux sauveteurs sont Adam Bielecki, qu'elle connaît - ils avaient un projet d'ascension dans l'Everest - et Denis Urubko, sa légende sur les 8.000 m.