La sécheresse et la course aux kilowatts vident un lac de Bosnie

"Je n'ai plus rien à faire ici" : Emir Alebic, garde-pêche du lac de Jablanica, regarde ce qui n'est plus qu'une vallée grisâtre, vidée de son eau en raison d'une sécheresse exceptionnelle combinée à la course à la production d'électricité en Bosnie.

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Le lac de Jablanica desséché près de la ville de Konjic, en Bosnie, le 7 février 2017.
Photo : AFP/VNA/CVN

Quelques kilomètres au nord-ouest de Konjic, à l'endroit où la Neretva se transforme depuis plus de 60 ans en lac artificiel, il ne reste qu'une immense étendue de sable et de vase, traversée d'un maigre cours d'eau. Certes, le niveau devrait remonter : après une longue période de sécheresse, la neige a fondu sur les monts alentour et il pleut des cordes.

Mais les pêcheurs et associations écologistes affirment que le mal est fait, qu'une réserve halieutique de "plus de 2 millions" de poissons a été "saccagée". Quelque 700 autorisations de pêche ont été délivrées en 2016, pour des poissons destinés à la consommation personnelle, notamment des truites, des carpes et des sandres.

Les pêcheurs tiennent pour responsable l'entreprise nationale d'électricité, Elektroprivreda BiH (EP BiH), qui gère le barrage et la centrale hydroélectrique de Jablanica, à 30 kilomètres plus au Sud - et qui affirme avoir respecté les procédures.

Selon Hrabren Kapic, responsable d'une association locale de pêcheurs, "le niveau du lac a brusquement baissé il y a une quarantaine de jours". "Il arrivait régulièrement ces dernières années que le niveau du lac baisse, mais jamais comme ça. C'est une catastrophe écologique", s'exclame-t-il, face à la vallée jonchée de dizaines de barques échouées.

Tout un écosystème menacé

Selon des représentants d'ONG, un certain nombre de poissons ont été coincés et ensevelis dans des zones marécageuses, d'autres ont migré vers le barrage. Ils craignent qu'ils ne reviennent pas, les micro-organismes dont ils se nourrissent ayant également souffert du retrait de l'eau.

"Tout un écosystème a été remis en question", argumente Amir Variscic, de l'ONG "Zeleni-Neretva" (Les Verts-Neretva). Selon lui, le niveau du lac baisse chaque année d'environ un tiers. Cette fois-ci, il ne reste "plus qu'un vingtième" de l'accumulation maximale d'eau.

Il dénonce le "désir exacerbé" des dirigeants de la compagnie nationale "de transformer chaque litre d'eau en kilowatt, dans une période de prix exceptionnel d'électricité sur le marché en raison d'une mauvaise situation hydrologique dans la région".

Ce pays pauvre des Balkans, dont l'industrie est sinistrée, a une richesse : ses cours d'eau. Il est un des rares exportateurs d'électricité en Europe du sud-est, ce qui lui a rapporté 165 millions d'euros en 2016. Or, selon les autorités, la Bosnie n'exploite que 30% de son potentiel hydroélectrique.

De son côté, la compagnie d'électricité explique la baisse du niveau du lac par "des périodes de sécheresse exceptionnelle" entre septembre et janvier, puis de très basses températures en janvier, qui ont fait augmenter la consommation d'électricité et donc nécessité une accélération de la production.

"Malgré ces circonstances, le fait que le lac se soit vidé a eu lieu conformément aux règles et avec un seul objectif, répondre aux besoins du système", lit-on dans un communiqué.

Une sécheresse extrême.
Photo : AFP/VNA/CVN

Situation extrême

Saisies par l'association de pêcheurs, les autorités ont diligenté une inspection. Et Elektroprivreda BiH a mandaté Samir Djug, professeur de la faculté des Sciences naturelles de Sarajevo, pour une étude sur de possibles dégâts. Ce biologiste, qui entame ses travaux, évoque une situation due à "une sécheresse extrême" : "C'est un niveau qui n'a pas été enregistré depuis trente ans. Cette situation pourrait produire des effets négatifs sur la biodiversité, notamment les poissons, mais d'autres animaux aussi", dit-il à l'AFP. Il assure toutefois que "le monde vivant des eaux a la capacité de s'adapter à ces situations extrêmes" et que les poissons "reviendront s'ils sont vivants".

Pour Zoran Mateljak, représentant en Bosnie de l'ONG Fonds mondial pour la nature (WWF), le danger va bien au-delà de Jablanica : il s'inquiète en effet de projets de construction d'autres infrastructures hydroélectriques, dont "des centaines de mini-centrales" à travers le pays.

Un vaste projet, déjà lancé, dans le Sud-Est de la Bosnie nécessitera de détourner, par un système de tunnels, environ 210 m3 d'eau par seconde, soit "plus ce que, par exemple, le cours de la Neretva", une des cinq grandes rivières du pays, indique M. Mateljak. Un projet majeur qui menacerait de "catastrophe totale" la réserve naturelle de Hutovo Blato, refuge des oiseaux migrateurs.


AFP/VNA/CVN

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