La maison de Vi Van Dào se trouve au cœur du village 8, district de Buôn Dôn, province de Dak Lak, sur les hauts plateaux du Centre (Tây Nguyên). Le seuil à peine franchi, des effluves pénétrantes d’herbes montent aux narines.Dans la cour, le propriétaire a disposé de grands paniers plats remplis de plantes médicinales. Cheveux poivre et sel, le sexagénaire respire la santé. Il accueille les visiteurs inconnus avec un large sourire, et les convie à prendre une tasse de thé comme il est de coutume n’importe où au Vietnam.
Le «docteur-serpent» Vi Van Dào. |
Interrogé sur sa science des morsures de serpents, il explique :«Traiter les victimes est pour moi une mission que je me dois de poursuivre, même si cela me prend beaucoup de temps et limite d’autant celui que je peux consacrer à gagner de l’argent pour faire vivre ma famille. Car je soigne gratuitement! J’utilise des remèdes appris de mon défunt père qui pratiquait la médecine traditionnelle».
Une destinée familiale
Pointant du doigt de grands sacs d’herbes médicinales séchées, des jarres d’alcool où macèrent des végétaux, des boîtes de cataplasme rangées dans des armoires, il explique : «Pour traiter une morsure, il faut utiliser trois sortes de techniques à la fois : une décoction à avaler, un cataplasme à appliquer sur la morsure et un alcoolat d’herbes médicinales à frotter sur le corps». Ces remèdes, il les prépare lui même à partir d’herbes cueillies en forêt. Consacrant beaucoup de temps à sa mission héréditaire, le «docteur-serpent», comme l’appellent les autochtones, ne cache pas sa joie d’avoir pu, ces 28 dernières années, sauver la vie de centaines de personnes.
Originaire du district de Luc Ngan, province de Bac Giang (Nord), Vi Van Dào est venu en 1986, avec épouse et enfants, s’installer dans le Tây Nguyên, dans le cadre d’un mouvement de défrichage de terres basé sur le volontariat. Sa terre natale, Luc Ngan, est une région forestière où les habitants ramassant du bois rencontrent souvent des serpents. «Autrefois, j’accompagnais souvent mon père lorsqu’il allait traiter des victimes, raconte-t-il. Cela a toujours été un travail bénévole, mais néanmoins prenant. C’est pour cette raison que ma famille n’a jamais eu de vie aisée».
Sauvés in extremis
Lorsque Dào a décidé d’emmener sa petite famille au Tây Nguyên, il pensait aussi faire ses adieux avec ses remèdes médicinaux, pour enfin se consacrer à l’amélioration des conditions de vie de sa famille. «Mais, une fois arrivé ici, j’ai compris que je ne pourrais pas abandonner ce que mon père m’avait transmis. Car le Tây Nguyên est aussi une région montagneuse couverte de forêts, où les serpents sont légions. Ce que je ne savais pas avant de venir !», s’amuse-t-il.
Hua Thi Duyên, un des patients de M. Dào. |
La réputation du «docteur-serpent» a rapidement franchi les limites de la province de Dak Lak. Des victimes des provinces voisines font désormais appel à ses services, jusqu’à Hô Chi Minh-Ville. Avec ses remèdes, Vi Van Dào a pu sauver la vie de tous, y compris des cas critiques. «Souvent, quand j’arrive chez une personne mordue, elle est presque à l’agonie. Mais en un jour ou deux, elle revient à la vie», explique-t-il, avec une lueur de fierté dans le regard.
«Il y a de nombreuses espèces de serpents venimeux, comme mocassin, cobra, bongare... Chacune a son propre venin. Pour le neutraliser, il faut d’abord savoir exactement de quelle espèce il s’agit, afin d’appliquer le bon remède», précise-t-il.
Hua Thi Duyên, 35 ans, de la commune d’Ea Wer, province de Dak Lak, est l’un de ceux que Dào a arrachés aux griffes de la mort. Duyên n’est pas prête d’oublier cet après-midi où, en train de défricher tranquillement un lopin de terre, elle est mordue au pied par un mocassin. «Au bout d’une minute, je respirais difficilement. Puis j’ai ressenti des vertiges et suis tombée par terre. Tout mon corps est devenu bleu. Mon mari m’a ramenée à la maison sur son dos», raconte-t-elle.
On lui a mis un garrot pour empêcher le sang d’amener le venin vers le cœur, puis une graine de dolique a été posée sur la plaie, pour absorber le venin. Sans succès. Vers minuit, elle a commencé à saigner de la bouche. De nombreuses traînées de sang sont apparues sur tout le corps. Du pied couvert de crevasses suintait un liquide jaunâtre.
Le flambeau est transmis
«On m’a emmené d’urgence à l’hôpital de Buôn Dôn, mais les médecins ont été incapables d’agir», se rappelle-t-elle. C’est alors qu’une personne a parlé à son mari du «docteur-serpent» Dào.
Elle a alors été amenée chez Vi Van Dào le plus vite possible. Là, Duyên a perdu conscience. Toutes les heures, Dao lui a versé dans la bouche une tasse de décoction, a appliqué un cataplasme sur la plaie et frotté son corps avec de l’alcoolat d’herbes. Après une nuit, Duyên a repris conscience. Le traitement a continué, et le pied a dégonflé petit à petit. Une semaine plus tard, Duyên a pu remarcher, doucement. Et de se rétablir totalement après 45 jours de traitement. Reconnaissante envers le «docteur-serpent», Duyên le considère désormais comme quelqu’un de sa famille.
Le cas de Nguyên Thi Nam, 87 ans, est encore plus incroyable. En cinq ans, elle a été trois fois mordue par des serpents venimeux et trois fois elle s’en est sortie, après une période plus ou moins longue de perte de conscience. «C’est grâce au maître Dào, qui a sauvé la vie de nombreuses victimes comme moi. Chose admirable : il refuse toute rémunération, que ce soit en argent ou en cadeaux, n’acceptant que le remboursement des frais de médicaments», affirme l’octogénaire avec émotion.
Parmi les neuf enfants de Vi Van Dào, un fils a reçu du père l’enseignement de praticien. Le flambeau familial est transmis, la lignée des «docteurs-serpent» n’est pas prête de s’éteindre !
Nghia Dàn/CVN