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Une serveuse afghane consulte son téléphone dans le restaurant Afghan Kebab à Esenyurt, un district d'Istanbul le 11 avril. |
Haji Yakup Burhan s'est d'abord rendu en Arabie saoudite où il a ouvert un restaurant. Mais ses enfants ne pouvaient aller à l'école locale, où ils n'étaient pas les bienvenus et où l'absence de statut de leur famille dans un pays qui ne reconnaît pas les réfugiés était un obstacle.
Alors, Haji Yakup Burhan a déménagé aux Émirats arabes unis, mais la vie à Dubaï était trop chère.
Il y a deux ans, il a posé ses valises en Turquie avec sa famille. Profitant des conditions relativement favorables pour les réfugiés qui veulent y faire des affaires, avec des démarches administratives simplifiées lors de la création d'un nouveau commerce, il a ouvert un restaurant à Istanbul, l'Afghan Kebab, dans le district périphérique d'Esenyurt.
"Aujourd'hui, 15 personnes travaillent pour moi dans ce restaurant, des Afghans, des Iraniens, des Turcs. J'y ai investi environ 120.000 dollars", explique M. Burhan à l'AFP.
"Je dirais que 60% de nos clients sont des Afghans qui vivent ici. Le reste, ce sont des Arabes, des Iraniens et des Turcs", ajoute-t-il.
M. Burhan fait partie d'un nombre croissant d'entrepreneurs afghans qui connaissent le succès en Turquie où ils se sont réfugiés, amenant avec eux leurs économies, mais aussi des compétences recherchées dans les domaines de la restauration, de l'artisanat ou du commerce.
Si les Syriens constituent l'essentiel des près de quatre millions de personnes réfugiées en Turquie, plus de 145.000 Afghans y vivent aussi, selon Amnesty International.
Certains Turcs considèrent les migrants et réfugiés afghans comme un poids, mais ce n'est pas le cas dans la banlieue où habite M. Burhan, où leur apport est vu comme positif, grâce à leur contribution à l'économie.
Nationalité soldée
À l'intérieur de l'Afghan Kebab, les clients dévorent leur Kabuli Palaw, un plat populaire afghan fait de riz épicé et de poulet, les yeux rivés sur la télévision où une chaîne afghane diffuse une série turque.
"Pour le moment, nous sommes le seul restaurant afghan dans le quartier", souligne M. Burhan en sirotant un thé vert assis en tailleur sur un coussin de sol.
Afin d'attirer plus d'investissements alors que la situation économique s'est dégradée l'an dernier, Ankara a abaissé en septembre d'un million de dollars à 250.000 dollars la somme à partir de laquelle un étranger investissant dans l'immobilier peut demander la nationalité turque.
Des employés afghans du restaurant Afghan Kebab le 11 avril à Istanbul. |
Photo: AFP/VNA/CVN |
Ces mesures d'incitation ont fait bondir de 82% des investissements dans l'immobilier par des étrangers au premier trimestre 2019, selon l'office turc des statistiques (Tüik).
Les Afghans ne représentent qu'une petite fraction de ces étrangers investissant dans la pierre - aucun chiffre précis n'est disponible -, mais contrairement à une image répandue, tous ceux qui fuient l'Afghanistan ne sont pas dans le dénuement.
"Nos ventes de logements ont doublé cette année par rapport à la même période l'année dernière", indique à l'AFP Mehmet Yasin Hamidi, un Afghan qui dirige une agence immobilière dans le district de Beylikdüzü, en périphérie d'Istanbul, et qui compte de nombreux Afghans parmi ses clients.
"Les gens ne peuvent pas protéger leur vie ou leur argent en Afghanistan", déclare M. Hamidi. "Si vous avez de l'argent, vous ou vos enfants risquent d'être kidnappés. Les hommes d'affaires sont menacés là-bas, c'est pour cela qu'ils apportent leur argent ici".
Compétences recherchées
La construction de nouveaux logements a explosé à Beylikdüzü ces dernières années pour satisfaire l'appétit croissant des étrangers voulant investir dans l'immobilier. Ils y ont investi 4,6 milliards de dollars en 2018, selon l'Association turque des promoteurs et investisseurs dans l'immobilier, qui table sur plus du double en 2019, environ 10 milliards de dollars.
En plus de l'argent, les entrepreneurs afghans apportent souvent avec eux des compétences et de l'expérience qui leur permettent de se différencier.
Hadi Ekhlas, un graveur de l'ethnie Hazara en Afghanistan, a fui l'insécurité de son pays il y a huit ans. Il s'est d'abord rendu au Pakistan voisin, avant de choisir la Turquie pour mettre à profit son savoir-faire.
Aujourd'hui, il travaille au Grand bazar d'Istanbul, l'un des marchés couverts les plus célèbres du monde, où il grave des écritures islamiques et ottomanes sur des pierres précieuses ou semi-précieuses, un travail minutieux hérité de ses ancêtres.
"Autrefois, des commerçants turcs importaient des pierres gravées de pays voisins, mais maintenant, je les fais ici et je prends des commandes", explique M. Ekhlas à l'AFP.
Avec un partenaire turc, il possède l'une des 42 boutiques tenues par des Afghans au Grand bazar. "Mon projet est d'agrandir ma boutique dans un avenir proche. J'aimerais aussi enseigner mes techniques (de gravure) à des Turcs", dit-il.
Dans une autre allée du Grand bazar, Khalil Nuri, un joaillier afghan, vend des bagues, des colliers et des pendentifs qui rappellent ceux des petites boutiques de Kaboul.
"En tant qu'orfèvre et expert dans la fabrication d'objets artisanaux, je voulais poursuivre mon travail ici", raconte M. Nuri qui a fui l'Afghanistan pour Istanbul il y a 12 ans.
M. Burhan, le restaurant dit espérer que son "affaire va continuer de bien se porter". "Il y a beaucoup d'Afghans ici. Et beaucoup de gens curieux d'essayer la cuisine afghane".
AFP/VNA/CVN