La chaussure cousue pied, un métier d'art devenu rare

Parce qu'à Paris comme à Tokyo être bien chaussé est affaire de confort autant que d'esthétique, la maison Massaro et le créateur Chihiro Yamaguchi perpétuent un métier d'art devenu rare, au service des stars et adeptes du luxe : la chaussure cousue pied.

De Marlene Dietrich à Marilyn Monroe en passant par les figures de la royauté et les stars du show-biz, Raymond Massaro, son père et son grand-père avant lui, ont fait de la maison parisienne, sise à deux pas de la place Vendôme, une référence, étroitement liée à la Haute Couture, en particulier à Chanel qui l'a rachetée en 2002.

"Nous sommes sans doute le dernier bottier pour femmes de Paris", explique Philippe Atienza, compagnon chevronné devenu directeur général de Massaro en 2008, prenant la succession de Raymond Massaro, après des années au service de la maison créée en 1894 et une longue expérience auprès du chausseur britannique John Lobb.

Chevreau, agneau, requin, autruche.... Dans un petit salon rempli de miroirs, destiné aux essayages et à l'accueil de la clientèle, des dizaines de paires d'escarpins, ballerines, bottes et bottines extravagantes, aux talons de 3 à 15 cm, sculptés, incrustés de bijoux ou transparents, voisinent avec des souliers pour homme, déclinant toutes les nuances de cuirs et de patines.

Bruit de marteaux, odeurs de cuir et de bois : jouxtant la pièce, deux petits ateliers abritent une dizaine d'employés affairés à la fabrication du sur-mesure destiné à une clientèle fortunée, quelques centaines de personnes au total dans le monde.

"Le sur-mesure c'est être capable de répondre à toutes les attentes même les plus folles", résume M. Atienza, dévoilant un modèle réalisé pour une chanteuse américaine à la mode.

Il détaille avec passion toutes les étapes du processus de fabrication d'une paire de chaussures vendue entre 2.500 et plus de 10.000 euros (python, crocodile, cuirs exotiques) pour un modèle féminin, autour de 4.000 euros pour des souliers d'homme : "cinq mesures au moins pour chaque pied, dessiné sur papier et qui devient une forme en bois puis une maquette, essayages multiples et modifications jusqu'aux derniers réglages". "La cambrure du pied est capitale pour la femme. Nous réalisons des chaussures du 35, des modèles orthopédiques, des talonnettes pour hommes qui ne se voient pas à l'extérieur", ajoute-t-il.

Comme chez le médecin, chaque client a son "dossier", témoin de l'évolution de ses pieds au fil des ans. La cave abrite les milliers de formes en bois qui ont été leurs clones depuis plus d'un siècle.

Ce savoir-faire a inspiré le créateur japonais Chihiro Yamaguchi, 50 ans. Parce que se chausser, dit-il lors de sa première exposition en Europe, à Paris, est "une manière d'être, d'envisager la vie".

À Tokyo, où il a fondé sa marque, Guild, et établi son atelier dans le quartier populaire d'Asakusa, en 1996, il réalise des modèles en plâtre après avoir pris "58 mesures" des pieds de ses clients.

"Les pieds sont comme les dents, le reflet des habitudes de vie de chacun. Ils méritent le plus grand soin". Loin d'évoquer le petit pas des geishas et la raideur des "geta" en bois, sa dernière collection s'inspire de défenses animales. Il fabrique en moyenne 360 paires de chaussures par an dont la moitié sur-mesure, entièrement ou partiellement faites à la main, une technique ancestrale très complexe que peu de bottiers maîtrisent.

Environ 500 clients, dont 60% d'hommes, font appel à lui, s'offrant des chaussures d'un coût compris entre 2.300 à 17.000 euros mais qui "durent toute la vie si on les entretient", assure Chihiro Yamaguchi, qui a créé une école pour transmettre son savoir, le Saruwaka Footwear College.

AFP/VNA/CVN

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