Juste mesure

Mine froissée, vêtements fripés, il cherche du regard son nom sur une des pancartes brandies devant lui. Son nom, unique, repère familier dans cet aéroport du bout du monde, au seuil d’une nouvelle vie. Il arrive là pour un an, deux ou plus encore, porteur d’une nouvelle identité : expatrié.

>>S’il te plaît, dessine-moi un Pho !

>>Échappée belle !

>>Marche impossible

>>Histoire de dire…

>>Ça va être leur fête !

Le Lac de l'Épée restituée en plein coeur de la capitale vietnamienne.
Photo : Anh Tuân/CVN

Depuis quelques années, accom-pagnant le dévelop-pement économique du pays, j’en croise de plus en plus dans les rues de Hanoï. Étrangers au pays qui les accueille, ils doivent s’y adapter, chacun à sa façon. Ils modèlent leur vie à un environnement nouveau pour eux, où l’étonnement peut parfois côtoyer l’incompréhension. Petite visite en pays expatrié, pour une tranche de vie impertinente.

Trop ou pas assez

Il y a l’expatrié anthropologue. Celui-ci a potassé tout ce qu’il a pu trouver sur le Vietnam avant de partir : sociologie, guide touristique, histoire… rien de ce qui concerne ce pays ne lui est étranger. Il a préparé sa famille aux us et coutumes auxquels elle va être confrontée. Le bagage linguistique s’est même enrichi de quelques phrases de survie sociale, en vietnamien. Même encore inconnu, le Vietnam lui est déjà familier.

À l’arrivée à l’aéroport, il connaît son premier moment de solitude en tentant d’établir un contact amical avec le chauffeur venu le chercher par un jovial «Xin chào, có khỏe không ?» (Bonjour ! Comment vas-tu ?». Le chauffeur le regarde d’un air inquiet en se demandant ce que signifie ce baragouin et s’empresse de lui demander en anglais de bien vouloir le suivre jusqu’à la voiture.

Par la suite, son enthousiasme de néophyte est progressivement remplacé par un doute pascalien sur la véracité de ce qu’il a appris dans sa littérature post-expatriation. La voiture a relégué la bicyclette au rang des antiquités, et les tours de plus de 60 étages n’ont rien à envier à la tour Montparnasse. Les magasins modernes et les superettes ont remplacé les marchés de quartier, et les jeunes s’habillent à la dernière mode occidentale. Remisant sa bibliothèque dans un coin du grenier, l’expatrié anthropologue apprend très vite que le Vietnam ne s’apprend pas dans les livres, mais en allant à sa rencontre, au plus profond de lui-même.

Vu d’en bas ou d’en haut, le Vietnam d’aujourd’hui est à prendre à la juste mesure
Photo : Anh Tuân/CVN

Encore faut-il en accepter l’exploration. Car il existe aussi l’expatrié-cocon. On dit que lorsque l’on quitte son pays, on emporte avec soi une partie de sa Patrie à la semelle de ses souliers, mais lui l’emporte dans toute sa charentaise et plus encore. Bien à l’abri dans ces grandes maisons entourées de grands murs, dans des quartiers réservés, il regarde son pays d’adoption transitoire, derrière les vitres teintées de la voiture, ou par l’entremise de la personne chargée du ménage ou de la garde des enfants.

S’il me vient l’envie de vivre à l’occidentale, il n’est de meilleur guide que lui. Il connaît tous les bons plans, pour trouver le saucisson sec, le camembert, le tournedos ou un bon vin de bourgogne. Il peut même me dire où je peux manger cassoulet ou choucroute comme chez nous. Il m’apprend aussi qu’il existe à Hanoï des bistrots qui fleurent bon l’atmosphère entre Seine et Loire. Et je suis béat d’admiration face à sa capacité de vivre pendant plusieurs années dans un pays sans apprendre un seul mot de la langue vernaculaire.

Je suis aussi, toujours étonné, par la hauteur de vue dont il fait preuve à propos du Vietnam, due aux nombreux survols en avion d’une ville à l’autre pour comparer les délices de séjours en ressorts balnéaires ou dans les grands hôtels. Grâce à lui, je découvre un Vietnam qui m’est totalement inconnu, au parfum bien de chez nous.

Trop, c’est trop

Inconnu est un mot qui ne fait pas partie du vocabulaire de l’expatrié-aventurier. Lui, il veut tout voir, tout ressentir, tout consommer. Une de ses premières acquisitions, c’est la moto et qu’importe que pour circuler, il faille un permis de conduire. Accessoirement, il accepte de se prêter à l’épreuve de l’examen, pour pouvoir sillonner le pays en toute tranquillité. Il choisit de poser ses valises dans une maison ou un appartement au milieu des Vietnamiens.

Son plaisir, c’est de rencontrer les gens, d’aller flâner dans les rues, de manger sur les trottoirs, de tester tous les goûts, de ressentir toutes les émotions que peut procurer ce pays. Qu’il soit ici pour ses études, un stage ou un travail temporaire, il veut profiter du temps qu’il passe au Vietnam pour le prendre à bras-le-cœur. Quand il repartira, il aura dans sa mémoire les images et les sensations cueillies d’un bout à l’autre du pays, et, dans ses valises, ces objets trouvés au hasard des escapades, cadeaux ou achats, que l’on conserve comme autant de morceaux d’amitiés ou d’amours passagères.

Dans la rue Ta Hiên du Vieux quartier de Hanoï.

Amour ! Maître-mot de l’expatrié-disciple. Celui-ci est tombé amoureux du Vietnam, au point qu’il devient plus Vietnamien que les Vietnamiens. Entre ses cours de vietnamien, ses séances de taï-chi et ses exercices de viêt vo dao (arts martiaux), il court de musée en musée, pour s’imprégner de l’histoire, de l’art, des mœurs. Il court les tailleurs pour se faire faire sur mesure des tuniques en soie, et c’est tout juste s’il n’arbore pas un «nón» (chapeau conique) en toute occasion. À en faire trop, il est souvent cocasse, mais tellement émouvant dans son envie de se fondre dans le pays qui l’accueille.

Et puis, et ce sont les plus nombreux, il y a tous ceux qui sont un peu de tout cela :

intéressés, étonnés, parfois inquiets, toujours curieux, qui, même provisoirement, cherchent à s’installer le mieux possible dans ce pays tellement déconcertant. Heureusement, les Vietnamiens sont toujours prêts à servir de cicérone aux nouveaux arrivés.

Certes, parfois l’aide et les conseils des premiers jours se transforment en maternage au fil du temps. Il faut alors se faire une douce violence pour prendre son envol, explorer selon ses envies les multiples sensations qu’il reste à découvrir... en attendant le jour où, rappelé dans son pays d’origine, on deviendra un ex-expatrié, auréolé du mystère de celui qui y a vécu, là-bas dans le pays du Sud lointain !


Gérard Bonnafont/CVN

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