Invitations vicinales

Si dans certains pays, on invente des fêtes de quartier pour recréer du lien social avec le voisinage, au Vietnam, c’est tous les jours fête avec les voisins. Petite leçon sur place.

>>Faites place !

>>Virtuellement vôtre

>>Aux petits soins

Depuis que je vis au Vietnam, j’ai considérablement modifié ma perception du voisinage. Le mot lui-même en dit long de la différence entre le voisin normand et le voisin hanoïen. Le premier nous vient de «vicinus» en latin, qui veut dire «proche, pas très loin, à proximité, dans le coin…», le second se nomme «bên cạnh», ce qui, traduit mot à mot, signifie «à côté, tout contre…». La nuance n’est pas que sémantique, elle se vit dans la réalité quotidienne. À condition d’en bien connaître les règles.

Le voisin ne s’invite pas : il s’invite

«Anh yêu ơi ! Ăn sáng đi !» (Mon chéri ! Viens prendre ton petit déjeuner !). Quand une telle phrase est prononcée sur un ton chaleureux de bon matin, quel mari pourrait contredire l’appel conjugal, et quel estomac pourrait résister à l’appel du phở - œuf aux plats - pamplemousse ?

Pas rasé, encore vêtu de ma tenue de nuit, je dévale l’escalier pour venir partager un moment d’intimité conviviale (le convive étant celui qui partage le repas). Qu’importe mon apparence, je revêtirai mes atours sociaux lorsqu’il sera temps d’entrer au contact de l’environnement collectif. Sauf que l’entrée en contact arrive plus tôt que prévue...

Alors que je m’attends à un petit déj’ en tête-à-tête, c’est une tablée de trois personnes qui m’accueille : mon épouse évidemment, mais aussi la voisine d’en face et celle de gauche. Revenant de leur promenade matinale et quotidienne, elles sont venues bavarder avant de rentrer chez elles. Pas le temps de remonter mettre une cravate, je suis déjà happé. On me tape sur le bras pour manifester l’affection de voisinage que l’on me porte. On commente longuement l’harmonie des couleurs de mon pyjama. On s’extasie de la capacité des poils de barbe des Occidentaux à pousser en une nuit. On épluche mes pamplemousses. Adieu l’intimité, vive l’intimité !

Le voisin s’invite à toute heure

Il est 22h00. Le grand ventilateur de plafond brasse lentement la fraîcheur de la nuit. Confortablement installé dans un fauteuil du salon, je savoure un navet télévisuel sur une chaîne étrangère. Tête vide, corps relâché, moment de détente neuronale et musculaire avant le grand saut dans le sommeil.

Soudain, le grincement de la grille de la cour ! Sous la lumière crue de l’ampoule extérieure, je vois, simultanément, ma chienne frétiller gaillardement tandis que se dessine la silhouette de ma voisine de droite accompagnée de ses deux fillettes. Pour le navet, les carottes sont cuites !

Inutile d’espérer suivre le fil d’une intrigue déjà sans queue ni tête qui devient totalement inaudible dans la cacophonie des conversations vicinales. Je bats en retraite face à l’invasion, en allant respirer l’air de la ruelle.

Et là, quelle surprise, je retrouve mon voisin, le mari de ma voisine invasive, qui, orphelin de sa moitié, s’est confortablement installé sur le seuil de sa maison pour puiser quelque réconfort dans une pipe à eau dont le culot au propre n’a rien à envier à celui au figuré de son épouse. Par solidarité masculine, je m’assois à côté de lui pour communier en un long silence troublé par le glougloutement de la pipe et quelques mots lâchés parcimonieusement. Adieu la tranquillité, vive la tranquillité !

La voisine s’invite avec les invités

J’invite des amis français à venir dîner. À peine ai-je annoncé mon intention que l’information s’échappe de chez moi, se glisse sous le seuil de chaque maison de la ruelle, rebondit de mur en mur comme une balle folle, et finit par s’écraser dans le marigot au fond de l’impasse.

La femme de mon voisin médecin apporte une table haute pour que nos convives ne soient pas dépaysés. Celle de mon voisin journaliste fournit nappes, housses de chaises et rubans. L’épouse de mon voisin fonctionnaire à la ville est déjà installée au plan de travail pour préparer les nems, indispensables à tout repas de fête vietnamien. La moitié de mon voisin maçon apporte les vases et les fleurs qui, de sa cour, viennent trôner dans la salle à manger. La conjointe de mon voisin mécanicien pile la glace qui va servir à rafraîchir les boissons.

Pour l’Occidental, la notion de voisinage au Vietnam est à réapprendre de A à Z.

Ma maison est devenue une ruche de voisines qui bourdonnent pour la transformer en salle d’apparat. J’entends le taxi… Mes amis arrivent ! Aussitôt, mes voisines s’échappent pour regagner leurs maisons. Elles traînent un peu dans la rue, juste pour voir la tête de ces étrangers pour qui on a préparé un dîner de roi. Et puis, plus rien, jusqu’au départ de mes amis.

Le voisin est invité permanent

Mais dès que la voiture qui les remmène a passé le coin de la rue, mes voisins voient leurs femmes se précipiter chez moi. Pas seulement pour récupérer leurs dons, mais aussi pour s’enquérir des réactions de mes amis et pour voir les inévitables photos numériques qui, signent les moindres rencontres. Adieu la vie privée, vive la vie privée !

À minuit, le voisin veut trimballer des briques dans une carriole qui fait un bruit d’enfer ? Surtout ne pas lui faire de remarques déplacées sur son mauvais goût à déplacer des matériaux de construction à une heure indue ! C’est mon voisin et, en bon voisin, je dois respecter son rythme de vie.

À l’heure de la sieste, mon voisin et ma voisine ont choisi de s’envoyer à la figure des mots bien peu doux, et des ustensiles tout aussi durs ? Surtout ne pas intervenir en vertu de la paix des ménages ! Ce sont mes voisins, et je me dois de respecter leurs sentiments aussi expressifs soient-ils.

Tard le soir et tôt le matin, mon voisin a décidé de recevoir sa famille jusqu’à la 10e génération, transformant la ruelle en une rave débridée ? Ne jamais émettre la moindre critique sur le fait que s’il y en a qui s’amusent, d’autres ont envie de dormir parce qu’ils travaillent le lendemain, eux ! C’est mon voisin, et il serait inconcevable que je ne respectasse point son sens de la famille.

En rentrant chez moi, et passant devant la maison de mon voisin, j’aperçois jetés en vrac sur le sol les outils que j’avais si bien rangés dans leur boîte ? Inutile de signaler que j’aimerais que l’on me consultât avant de m’emprunter quelque chose ! C’est mon voisin, et ce qui est à moi est à mon voisin.

Ici, le voisinage, c’est plus qu’un agglomérat de personnes vivant les unes à côté des autres. C’est une véritable communauté, où le sans-gêne est une marque d’intérêt, où s’immiscer est une marque de respect, où la désinvolture est une marque d’affection. Ici, le voisinage, ce sont les sourires, les salutations, les coups de main…

Ici, le voisinage, ça vous a une épaisseur humaine qui vous fait pardonner la promiscuité.

Gérard Bonnafont/CVN

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