Faites place !

Pour découvrir le Vietnam, il n’y a que l’embarras du choix : transports individuels, moto, vélo, voiture, ou transports en commun, train et autobus, voire avion. Aujourd’hui, je vous propose de prendre la route en car et en bus.

En effet, il faut bien distinguer les deux. Le car est aux transports en commun ce que le champagne est au vin : royal ! Certes, il existe des bus à impériale qui pourrait, sous cet angle, prétendre à ce qualificatif, mais il reste que leur fonction de bus les contraint à rester confinés dans la catégorie des modestes.

Car ou bus ?

L’autocar, pour le nommer dans son intégrité, est, comme son nom ne l’indique pas, destiné au transport en commun interurbain, alors que l’autobus est cantonné à rester en ville.

Au-delà des mots, la différence est de taille, et pas seulement en mètres, mais aussi en confort. Sièges-couchettes, fauteuils rembourrés, insonorisation, écran DVD, toilettes intérieures, climatisation..., rien n’est trop pour rendre le voyage le plus confortable possible. Rouge, vert, ou gris, il file majestueusement, écrasant de sa superbe les insignifiantes motos qui doivent gicler de sa route sous peine de finir sous ses roues. Il invective, d’un tonitruant coup de klaxon, les insolentes voitures qui osent ralentir sa course, et qui doivent se résoudre à lui laisser chemin libre, sous peine d’avoir son mufle hurlant collé au pare-choc arrière, rendant subitement inquiétant le moindre coup de frein intempestif. Son credo, c’est de transporter ses clients le plus loin possible dans une atmosphère douillette. Bien loin, très loin des voyages épiques en bus !

Car si dans l’autocar, chacun a une place et chacun à sa place, il en est autrement pour les bus routiers où la place coûte plus chère que le billet ! Le bus, si l’on en croit son nom, devrait se contenter d’arpenter les rues des villes, s’arrêtant tous les 200 m pour héberger provisoirement les grappes d’usagers qui les attendent sous les panneaux d’arrêt. Or, si tel est le cas des bus rouges et jaunes de la grande agglomération, brinquebalant dans les embouteillages, qui restent fidèles à leur état de bus, il en est tout autrement de ces innombrables bus interrégionaux, intercantonaux, interprovinciaux, inter tout ce qu’on veut.

Les bus interrégionaux, à la différence de ceux de la capitale, considèrent la route comme un champ de course.
Photo : Hoàng Hai/VNA/CVN

Une place pour tout !

Si le car est le roi de la route, ces bus en sont les aventuriers. Provenance et destination affichées derrière le pare-brise, défilant en lettres lumineuses ou peintes sur la carrosserie, ils considèrent la route comme un champ de course. Leur mission : ramasser le plus possible de personnes qui attendent au bord de la route, et transporter tout ce qui peut légalement se promener en quatre roues.

Minibus ou grand bus, on les voit gicler des gares routières et foncer tête baissée sur les routes. Ici, pas d’arrêt matérialisé : il faut que le voyageur se signale, main levée qui s’agite. Si l’impétrant ne porte qu’un modeste sac, le bus ralentit à peine tandis que le candidat au voyage accélère le pas, prend son élan et bondit dans le bus qui reprend aussitôt de la vitesse. Par contre, si la cargaison humaine est accompagnée d’une charge utile conséquente, le bus s’arrête, fait ronfler son moteur, comme au stand d’un circuit automobile, le chauffeur reste à son bord, tandis que un ou deux acolytes sautent hors du véhicule et, aidés par quelques voyageurs compatissants et quelques «xe ôm» (mototaxi) qui se trouvent là, hissent, halent, poussent, sur le toit, dans les coffres, dans l’habitacle, marchandises et animaux.

J’ai vu, comme cela, charger des cages à chien en bambous tressés, pleines de canidés aboyant, des berceaux à cochon d’osier tressé, contenant des porcins grognant, des paniers à volaille en rotin tressé, emplis de palmipèdes cancanant. J’ai vu trôner sur la galerie, sans doute pour l’épater, des baignoires, bidets et cuvettes de toilette, destinées à de lointaines salles de bain en gestation ; des armoires, buffets, chaises et tables, attendues dans des villages pour meubler les pièces et les conversations. J’ai vu des motos tire-au-flanc transportées sur le flanc au milieu d’un capharnaüm en équilibre instable sur le toit.

Et quand tout cela est chargé, à peine le temps de sauter de la galerie au sol, de refermer les portes des coffres, le bus a déjà redémarré et reprend sa course folle jusqu’aux prochains bus stoppeurs ! Dame, c’est que sur des trajets où plusieurs bus se font concurrence, c’est le premier qui récupère les voyageurs, qui engrange les recettes.

Tout en dehors !

Voyageurs à peine mieux lotis que les bagages qu’ils accompagnent. Entassés les uns à côté des autres, dans un espace où le vital est réduit à sa plus simple expression, on fait la connaissance approfondie des formes de sa voisine de droite en étant propulsé contre elle dans les virages à gauche, et on apprécie à sa juste valeur les coudes et les côtes de son voisin de gauche en le collant exagérément dans les virages à droite.

Bringuebalés au rythme de la sinuosité routière, ballottés au rythme des trous, secoués au rythme des cahots, les estomacs peinent à trouver l’équilibre nécessaire à effectuer leur travail : digérer en grande partie le bol alimentaire. Quoi d’étonnant à ce qu’ils se révoltent en renvoyant à l’extérieur ce qu’ils ne peuvent transformer à l’intérieur. Parfois, le trop plein trouve un sac en papier ou en plastique sur sa trajectoire.

Ce qui est le moindre des inconvénients pour les passagers du bus, puisque contenant et contenu finissent en général par suivre une orbe élégante qui les envoie s’écraser, au mieux sur le bas-côté, au pire sur un motocycliste qui s’est aventuré un peu trop près du bus. Mais lorsque la régurgitation est plus rapide que le réflexe de protection hygiénique, le flot acide peut se répandre sur les vêtements du malheureux propriétaire de l’estomac récalcitrant, sur ceux de ses voisins, sur les sièges, les vitres, bref tout ce qui peut faire obstacle à sa volonté expansionniste ! Pas grave : on nettoiera au prochain arrêt, et pour l’odeur, il n’y a qu’à ouvrir les fenêtres en grand.

Combien j’en vois ainsi de ces passagers nauséeux qui, lorsque je les double en moto, visière baissée (précaution impérative consécutive à ce qui précède), me lancent un regard glauque, dans un état semi comateux, priant leurs ancêtres que le prochain arrêt ne soit pas loin. Et il arrive cet arrêt bienheureux. Je ne parle pas du ralentissement destiné à faire monter les candidats à la nausée, je parle du véritable arrêt, de celui que le chauffeur décide de faire pour deux raisons diamétralement opposées : se remplir ou se vider !

Pour le remplissage, c’est le restaurant choisi par le chauffeur où tout le bus se doit d’aller se restaurer, et qu’importe que seuls le chauffeur et ses acolytes fassent preuve de bon appétit, il faut manger. Pour l’action inverse, le bus s’arrête en bord de route, et tout le monde se met en file pour vider sa vessie, ses intestins ou son estomac, laissant après son passage un bas-côté peu ragoûtant…

Au Vietnam, nul doute possible : le transport en commun est déjà une aventure en soi !

Gérard Bonnafont/CVN

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