Lorsqu’il a perdu ses deux parents, emportés par le cancer alors qu’il était jeune adulte, l’entrepreneur Martin Källström s’est donné un objectif : saisir chaque instant, dans sa vie et par la caméra.
Son lifelogging autour du cou, Martin Källström prend une photo toutes les 30 secondes. |
Le résultat des efforts est un petit objectif sans interrupteur qui immortalise tous les moments de la vie, et qui promet d’alimenter les débats sur le respect de la vie privée.
À 38 ans, ce Suédois, fondateur de la compagnie Memoto, n’a pas de temps à perdre pour faire connaître son appareil de «lifelogging», l’activité qui consiste à consigner sa vie sur support numérique.
«Quand on perd ses parents, on se rend compte qu’on n’est pas immortel. Ça m’a résolument guidé dans mes affaires. Je ne peux pas attendre de réaliser mes rêves dans l’avenir. Je dois vivre mon rêve maintenant», dit-il.
Son rêve : équiper la terre entière de cette petite caméra aussi discrète qu’un ipod, accrochée par un clip à un vêtement ou à un tour de cou, qui prend une photo toutes les 30 secondes.
Le lifelog, un outil prometteur
«Traditionnellement, les gens n’apportaient leur appareil que pour des événements particuliers où tout le monde s’habillait et faisait un sourire». Mais «on ne sait pas par avance quels moments seront importants». «Peut-être que vous allez rencontrer votre future femme ou assister à un accident ou un crime. Ce sont des images que vous aurez peut-être envie de revoir», suggère-t-il.
L’appareil range les photos par localisation (avec un GPS), heure et éclairage. L’utilisateur peut publier sur Facebook ou Twitter.
L’entrepreneur suédois nous présente son invention, son mini appareil-photo rafale. |
Le lifelog est le fait d’enregistrer et d’archiver sur support numérique toutes les informations de sa vie : textes, informations visuelles, fichiers audio, ou même données biologiques provenant de capteurs sur le corps. Il est en plein essor, avec des applications multiples, comme Saga, qui propose d’écrire «l’autobiographie digitale» de chacun à partir des données enregistrées par le téléphone portable.
Le lifelog est prometteur aussi dans le sport et la santé, par exemple pour enregistrer la vie des malades d’Alzheimer pour qu’ils la partagent avec leurs soignants, ou avec des applications comme Runkeeper, qui enregistre le parcours et le rythme cardiaque d’un sportif, ou Moves, qui suit les déplacements tout au long de la journée.
Dans l’image, des concurrents de Memoto sont déjà présents, comme le britannique Autographer, tandis que GoPro et Looxcie visent les pratiquants de sports extrêmes.
Memoto veut plaire aux égocentriques et aux nostal-giques, d’après M. Källström. C’est un outil pour les «geeks» qui n’ont pas la patience de rédiger un journal intime ou ses variantes modernes. «J’ai échoué plusieurs fois à tenir un blog ou des carnets de voyage en ligne. J’ai des proches plus âgés qui ont un journal qui s’étale sur 20 ans, mais c’est difficile sans l’habitude», confie le cofondateur de Memoto, Oskar Kalmaru.
Le lifelog et le respect de la vie privée
Mais l’entourage n’appréciera pas forcément d’être photographié, soit qu’il souhaite protéger sa vie privée, soit qu’il ne veuille pas qu’on sache où il est.
«Le lifelogging soulève des questions touchant au respect de la vie privée. Tout dépend où vont les photos», relève Steven Savage, chercheur à l’Institut suédois de recherche sur la Défense, un organisme gouvernemental.
«Aujourd’hui il est difficile de rechercher des images, mais de nouvelles technologies sont créées en permanence. Une fois qu’on pourra rechercher ces photos, de nouvelles questions se poseront», estime-t-il.
L’instrument évoque en effet des scénarios cauchemar comme, entre autres dystopies, le monde décrit par George Orwell dans son roman 1984, où chacun est surveillé en permanence ou le film The Truman Show, où la vie du héros est depuis sa naissance projetée en direct aux téléspectateurs.
Les concepteurs de Memoto répondent qu’ils ont conçu l’engin comme étant facile à identifier comme appareil photo. Il serait donc toujours possible de le repérer et de demander à le glisser dans la poche.
Jan Svärdhagen, qui écrit un livre sur le «lifelogging», se demande quelle est la «finalité» d’un tel produit: «Qui achète le produit et dans quel but?» «Entre-t-on dans une nouvelle phase des réseaux sociaux où non seulement nous écrivons des choses, mais partageons aussi notre vie 24 heures sur 24 dans une sorte de version light de Big Brother?», s’interroge-t-il. «Est-ce du narcissisme dans sa forme la plus extrême?»
AFP/VNA/CVN