À 72 ans, Hô Ngoc Khiêt respire toujours la santé. "Quelle joie de pouvoir rendre visite à l'Oncle Hô bien aimé, dans son mausolée, juste la date de son anniversaire!", confie avec émotion le vieillard au regard vif et à la longue barbe cotonneuse qu'un vent printanier agite doucement. Vêtu des pieds à la tête de la tenue kaki des Forces armées de libération du Sud, Ngoc Khiêt confie : "L'année passée, j'ai fait le même trajet mais à vélo, aussi pour venir rendre hommage à l'Oncle Hô le jour de son anniversaire. Cette année, j'ai voulu le refaire à pied, à l'instar des soldats qui devait autrefois traverser la cordillère de Truong Son pour aller libérer le Sud".
Originaire de Binh Dinh, province côtière du Centre, Hô Ngoc Khiêt vit avec sa famille à Lâm Dông, province des hauts plateaux du Centre. Pendant la première résistance (1945-1954), il a incorporé les troupes armées révolutionnaires du Sud qui ont été ensuite regroupées au Nord, dans la province de Thanh Hoa. Après la fin de la guerre en 1975, Ngoc Khiêt a été démobilisé et est revenu s'installer avec sa famille à Lâm Dông, pour cultiver la terre.
Deux mille kilomètres à pied, ça use, ça use...
Pas la peine de préciser que le projet de ce père de sept enfants n'a guère suscité l'enthousiasme au sein de sa famille. En début d'année, le vieil homme a commencé à préparer son périple, et a notamment été suivre un examen médical à l'hôpital Thông Nhât de Hô Chi Minh-Ville. Hypertension, maux de tête récurrents, problèmes de prostate..., le verdict a été sans appel. "Le médecin m'a même dit qu'il y avait un risque sérieux que je calanche en bord de route ! Mais mon projet avait déjà bien mûri, il était hors de question pour moi de jeter l'éponge", se souvient Ngoc Khiêt.
Point de départ : le Palais de la réunification (Hô Chi Minh-Ville), le 27 février 2011. Point d'arrivée : le mausolée du Président Hô Chi Minh (Hanoi), le 19 mai 2011. Chemin : la nationale 1A, soit 2.000 km.
Durant ces deux mois et 18 jours, le vieil homme en uniforme, avec un baluchon sur le dos, n'est pas passé inaperçu et a suscité bien des interrogations. Il a emporté avec lui deux habits de soldat, un hamac, une couverture légère, une moustiquaire, un imperméable, un appareil de contrôle de la tension artérielle, des médicaments, un appareil photo et un téléphone portable. Sans oublier un petit pécule de huit millions de dôngs (400 dollars).
Au début, le septuagénaire faisait 30 km par jour. Puis, chaleur et fatigue aidant, le kilométrage quotidien a baissé quelque peu. Mais, le rythme journalier n'a pas varié d'un iota : cinq heures de marche le matin (de 4 à 9 heures), au rythme d'un kilomètre par 15 minutes, suivi d'une brève pause de cinq minutes ; quatre heures de repos le midi (de 9 à 13 heures) ; quatre heures de route l'après-midi (de 13 à 17 heures). Le soir, il cherchait un gîte gratuit (souvent un camp militaire, une pagode ou une maison d'habitant) pour passer la nuit, où il avait aussi souvent droit au couvert gratuit.
Son "chemin de croix" a été émaillé de petits problèmes. Outre le fait de changer de chaussures tous les 50 km, il a une fois frôlé la mort après un repas dans un boui-boui. "Un jour, j'ai été pris de vertiges après avoir mangé un pain au beurre. Ma tension artérielle a monté rapidement, jusqu'à 200. J'ai vite avalé un comprimé, accroché mon hamac entre deux arbres au bord de la route, avant de tomber dans les pommes. Heureusement, j'ai repris connaissance quelque temps après, et je me suis senti alors en pleine forme comme si rien ne s'était passé", se souvient-il, avec un large sourire.
"Perle pure" droit dans ses bottes
"Mais dites-nous, tout au long de ces 2.000 km, jamais vous n'avez succombé à la tentation de grimper dans un véhicule ?". À cette question un tantinet inquisitrice, le vieux Ngoc Khiêt a répondu tout de go : "Jamais ! Mieux valait pour moi échouer dans l'honneur plutôt que de réussir en trichant. Je veux être digne de mon prénom, Ngoc Khiêt, qui veut dire +Perle Pure+". Le septuagénaire ajoute que bien des fois, il a dû décliner l'invitation de gens qui avaient pitié de lui. "Un jour, dans la province de Phu Yên (centre), il pleuvait à seau, la nuit commençait à tomber. Je me hâtais sur une route déserte. Soudain, une fillette à vélo s'est arrêtée à côté de moi. +Monsieur, voulez-vous que je vous transporte un bout de chemin ?+. Ému, je lui ai répondu : +Merci, ma petite. Mais, il faut que je marche+. Elle s'en est allée, puis est revenue peu de temps après avec un pain en main : +Monsieur, vous avez faim ? Mangez cela+".
Ou encore le jour où il a passé le col de Cù Mông (Centre), sous une pluie battante. Un camion s'est arrêté à sa hauteur et le chauffeur l'a invité à monter dans la cabine. "C'est sûr qu'il a dû me prendre pour un taré quand je lui ai expliqué que je préférais marcher !".
Tout au long de son trajet, l'admiration, le respect, la compassion, les mots d'encouragement des gens ont agi comme un doping sur le vieil homme. "Une fois, sous un soleil accablant, j'ai aperçu au loin un homme qui se tenait en bord de route, comme s'il attendait quelqu'un. Quand je suis arrivé à sa hauteur, il m'a donné une cannette de jus de courge accompagnée d'un encouragement : +prenez ça, s'il vous plaît. En vous voyant marcher depuis longtemps sous la chaleur, ma femme m'a demandé de vous apporter à boire +", se rappelle Ngoc Khiêt. Et d'ajouter que partout, les gens l'ont accueilli avec gentillesse. "Ils m'ont offert soit un repas soit un lit, soit une petite somme dite de + frais de voyage+ ou un flacon d'essence d'eucalyptus…".
Le vieux Ngoc Khiêt a été très heureux d'avoir rendu hommage à Hô Chi Minh dans son mausolée le jour de son anniversaire. Mais sans se douter qu'il n'était pas encore au bout de ses surprises et de ses émotions...
(à suivre)
Nghia Dàn/CVN