Guinness s'invite à la table des petits brasseurs américains

Le coronavirus a eu raison cette année de la plupart des festivités de la Saint-Patrick, mais les nombreux Américains fiers de leurs origines irlandaises pourront noyer leur chagrin dans les bières produites par la première brasserie Guinness à opérer aux États-Unis depuis l'après-guerre.

Ryan Wagner, "ambassadeur" de la nouvelle brasserie américaine de Guinness, le 9 mars 2020 à Baltimore (Maryland).
Photo : AFP/VNA/CVN

Un drapeau vert-blanc-orange flotte au-dessus de la terrasse, où résonne un morceau de U2 face à l'énorme harpe dorée surplombant l'entrée du bâtiment. On pourrait presque se croire en Irlande s'il ne faisait pas plus de 20°C en hiver et si un panneau directionnel ne dissipait pas définitivement le doute : "Dublin est à 3.352 miles d'ici".

Plus de 60 ans après une brève expérience près de New York, Guinness a choisi pour son retour aux États-Unis de s'installer à Baltimore, qui partage quelques similitudes avec la "dirty old town" dublinoise. "Deux villes industrielles à la mauvaise réputation", résume Ryan Wagner, "ambassadeur" de la nouvelle brasserie américaine.

Elle a ouvert à l'été 2018, sur le site d'une distillerie en perdition, pour consolider la marque dans un pays friand de bière. "Les États-Unis constituent probablement le marché de la bière le plus dynamique et attrayant du moment dans le monde, et nous voulions tout simplement être au plus proche de l'action", explique en ligne Guinness, propriété du géant de l'alcool Diageo.

Afin de faire évoluer son image auprès des Américains, l'entreprise irlandaise a décidé de se placer sur le même créneau, en vogue, que les brasseries artisanales qui prolifèrent un peu partout dans le pays. Elle ne produit pas à Baltimore sa célèbre stout noire et crémeuse au col blanc, mais une multitude de bières maison plus ou moins "expérimentales" - IPA, blondes, fruitées ou vieillies dans des fûts de bourbon...

"Quand on évoque Guinness, les gens pensent d'abord à une bière, pas forcément à un brasseur", explique Ryan Wagner. "Nous voulons changer leur perception et avoir notre place au sein d'un marché de la bière riche et varié. Mais on ne pourra jamais prétendre être une petite brasserie".

Héritage irlandais

"Dublin est à 3.352 miles d'ici", indique un panneau directionnel sur la terrasse de la brasserie de Baltimore.
Photo : AFP/VNA/CVN

La Guinness Open Gate Brewery de Baltimore a beau vouloir jouer dans la même cour que ses consoeurs artisanales, elle lutte avec des armes autrement plus affûtées. La maison-mère a investi 90 millions de dollars dans l'aménagement du nouveau site (plus de 25 hectares au total), recruté certains des meilleurs spécialistes locaux et capitalisé sur un nom déjà largement reconnu à travers le monde.

Stratégiquement située près d'un aéroport international et dans un important bassin de population (New York, Philadelphie et Washington sont à moins de 4 heures de route), la brasserie a attiré 400.000 personnes dès sa première année d'exploitation, un chiffre au-delà des attentes. Beaucoup d'Américains, notamment sur la côte est, revendiquent une filiation avec les Irlandais ayant fui en masse au XIXe siècle la pauvreté et la famine qui ravageaient alors leur île, sous le joug de l'occupation britannique.

D'autres, comme Alex Ward, 31 ans, qui ne se connaît pas d'ancêtres irlandaise, apprécient simplement de pouvoir boire une bonne bière dans un cadre "à la fois très différent, mais aussi similaire à certains égards" à celui de la brasserie originelle de Dublin, qu'il a eu l'occasion de visiter. "Elle est plus proche du centre-ville là-bas, avec un côté encore industriel. Ici, il y a de l'espace, on peut flâner et se détendre", compare-t-il. "Et je peux y venir en voiture. Ce serait plus dur pour l'Irlande".

Lui et sa petite amie ont tous les deux opté pour des bières produites sur place plutôt que pour la stout emblématique. Directement importée de Dublin, cette dernière reste la plus vendue à Baltimore. La légende veut pourtant qu'elle perde en qualité plus on s'éloigne de la capitale irlandaise.

La brasserie américaine produit une multitude de bières maison plus ou moins "expérimentales".
Photo : AFP/VNA/CVN

"C'est le cas de n'importe quelle bière", sourit dans son épaisse barbe l'ambassadeur Wagner, qui est aussi à ses heures le speaker de l'équipe de baseball de la ville, les Orioles.

"J'imagine que si vous êtes à Dublin, dans un pub vieux de 900 ans, que l'on vous sert une pinte parfaite avec de la musique traditionnelle, votre Guinness aura un goût légèrement différent", développe-t-il. "Mais je pense que celle que l'on sert ici est parfaitement à la hauteur".

Dublin, après tout, n'est qu'à 3.352 miles de là.

AFP/VNA/CVN

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