Folle journée

Il est des journées comme ça, où on se dit que tout est normal et se déroulera comme prévu. Mais, au Vietnam comme ailleurs, une journée normale peut devenir une folle journée !

Mon planning était préparé depuis longtemps. Aller à l’aéroport à 06h00 du matin pour accueillir des amis qui profitent de leurs congés d’été pour venir me saluer au Vietnam, puis les aider à s’immerger dans la presse hanoïenne, avant de les quitter en soirée, pour piloter en gare de Hanoi des amis d’amis qui m’avaient lancé un SOS pour gérer leur départ en train pour Sapa (province montagneuse de Lào Cai, au Nord). Tout a été organisé, tout devait se dérouler sans heurts. Une journée sur du velours…
Matin foudroyant
La machine s’est déréglée dans la nuit…
Vers 01h00 du matin, je m’éveille, dérangé sans doute par le ronflement d’une climatisation qui, ayant déjà durement travaillé la veille, s’était un peu essoufflée. Dans un demi-sommeil, je décide de lui donner congé pour les quelques heures de rêve que je compte m’octroyer avant mon lever matinal. Le climatiseur s’arrête, le ronflement continue et se transforme en crépitement. Le doute s’insinue en moi : ne serait-ce point là le bruit de la pluie sur le toit ? Tout à fait éveillé, je tire les rideaux de la fenêtre pour regarder au-dehors. Dans la pénombre, à peine éclairée par le halo du lampadaire municipal, c’est une véritable cataracte que j’aperçois ! Toutes les vannes du ciel se sont ouvertes pour laisser s’échapper des trombes d’eau sur la tête des humains… et des chiens, pensé-je subitement. Le chiot, rapporté par ma fille de son dernier séjour au «quê» (village natal) maternel, a élu ses quartiers dans la courette de la maison, et je me demande s’il n’a pas déjà été emporté par la rivière qui s’est invitée dans notre ruelle, et qui a déjà envahi les lieux ! Auquel cas, j’encourrais les foudres filiales, au moins aussi dangereuses que celles qui zèbrent la nuit d’éclairs inquiétants. Je dévale les escaliers, et me précipite au-dehors, immédiatement trempé jusqu’aux os par cette eau malintentionnée qui a décidé de venir troubler ma courte nuit. Une éponge de poils se précipite dans mes jambes, totalement apeurée…

La pluie submerge les rues.


Il est 01h30 du matin, et je suis en train de sécher vigoureusement une bestiole qui s’entête à me lécher de reconnaissance, en me demandant ce que je vais en faire pour le reste de la nuit !
Il est 02h00 du matin, je tente de me rendormir, en priant pour que le bébé canidé que j’ai installé sur un vieux tapis, près de la cage à oiseaux, ne se laisse pas aller sur le sol du salon. Auquel cas, ce seraient les foudres conjugales qui s’abattraient sur moi. Hypothèse tout autant redoutable que celle évoquée plus haut…
Il est 05h00 du matin ! Après un mauvais sommeil, rythmé par le gong du tonnerre, de rapides ablutions matinales, et sans prendre le temps d’un petit déjeuner, je remonte péniblement un torrent qui, hier encore, était une rue. De l’eau jusqu’au mollet, je bataille fermement avec les rafales de vent pour tenter de conserver mon parapluie qui essaie de me protéger chichement de la colère du ciel. Je ne suis plus un humain : je suis un poisson qui cherche à rejoindre Âu Co. Pas la déesse mère, mais l’avenue qui porte son nom. C’est là que j’ai rendez-vous avec le bus qui doit m’emmener à l’aéroport…
Il est 06h00 du matin ! Je m’égoutte dans le hall de l’aéroport en attendant mes amis. Autour de moi, une à une les pancartes, qui accueillent les touristes, se baissent. Les guides trouvent ceux qu’ils vont chaperonner pendant quelques jours. Sourires, salutations, échanges de prénoms, direction la sortie. La densité de population du hall d’accueil se raréfie, la flaque d’eau autour de moi s’élargit. Je rêve de désert, de sécheresse, de canicule ! Et mes amis n’arrivent pas… Je ne sais pas pour vous, mais j’ai remarqué que les personnes que je viens chercher à l’aéroport font toujours partie des derniers sortis. C’est au moment où je risque d’être expulsé pour tentative d’inonder la salle des pas perdus que mes amis apparaissent, secs et souriants après une bonne nuit à 10.000 m d’altitude…
Soirée inattendue
Il est 18h00. Sans doute, après la pluie, le beau temps, et compte tenu de ce que nous avons ramassé aujourd’hui, il devrait faire beau pendant longtemps !
Il est 18h30, je suis à la gare de Hanoi, où je retrouve le groupe que je dois aider pour prendre le train de Sapa. C’est mon ami Tuân qui s’est occupé des billets de train. «Allô ! Tuân ? Je les retire où, les billets de train ?». Ah ! C’est une connaissance de Tuân qui me les apporte… Et je la reconnais comment cette connaissance que je ne connais pas ? Ah ! J’indique où nous sommes, un coup de fil et il nous rejoint… Parfait! Tout paraît extrêmement bien organisé.
Il est 19h30, la connaissance nous a rejoints avec les billets et nous demande de le suivre pour aller jusqu’au train, qui est de l’autre côté des voies. Euh ! Nous ne sommes pas au complet. Il manque la moitié du groupe qui est partie acheter des bouteilles d’eau. C’est le grain de sable dans la machine !

Quand tout va mal, un peu de calme fait du bien ! 


En effet, au Vietnam, si parfois il arrive d’attendre longtemps avant d’enclencher le mouvement, une fois lancé, tout doit être fait rapidement ! Devant l’impatience de notre nouvelle connaissance, la seconde partie du groupe décide de partir en reconnaissance pour retrouver l’autre moitié…
Il est 19h45, je suis seul dans le hall de la gare, essayant de retenir un Vietnamien chargé des billets de train d’un groupe d’Occidentaux aux abonnés absents, et qui fulmine devant l’insouciance de ces gens qui disparaissent au moment où il apparaît. Finalement, d’un geste rageur, notre homme me colle les billets dans la main, m’indique vaguement la direction du train et me tourne le dos pour disparaître lui aussi. J’ai l’impression d’être un illusionniste : je fais disparaître un individu pour en faire apparaître huit quelques minutes plus tard. Vite, partir à la recherche du train ! J’emmène au pas de course mon équipage, à travers les voies de la gare. Zigzaguant entre des locomotives qui cornent à nos oreilles, nous parvenons à la voie 10, celle du train pour Sa Pa.
Il est 20h00 ! Voici les numéros des couchettes… Tiens, comme c’est curieux : il y a déjà des bagages dans ce compartiment ! Pourtant, c’est bien les numéros inscrits sur nos billets. Justement, les propriétaires des valises arrivent. «Vous vous êtes trompés, vous êtes à notre place !». «Mais non, regardez ce qui est écrit sur le billet !». «Ah ! Mais non, ce n’est pas sur ce billet qu’il faut regarder, c’est sur celui-ci». On vérifie, on compare ! La locomotive s’impatiente… Finalement, les ex-locataires des couchettes de mes amis comprennent leur erreur. Comme au jeu du taquin, chacun se met en place…
Il est 20h15 ! Le train frémit… Vite, prendre congé, descendre pour éviter de passer la nuit loin de ma maison !
Il est 20h30 ! Je suis sur ma moto. Encore 10 minutes avant d’arriver chez moi. Le ciel s’est remis à pleurer, et je n’ai pas de cape de pluie. Ç’aurait pu être une belle journée.

Gérard BONNAFONT/CVN

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