En Occident, la météo occupe une grande part dans les conversations et les préoccupations du quidam. Les présentateurs du bulletin météo sont écoutés comme des oracles, et le temps (celui de l’horloge) semble suspendu aux caprices du temps (celui du ciel). Va-t-il faire beau demain ? Si oui, la vie est belle et le monde est à nous ! Si non, c’est la déprime assurée. La dépression du temps amène inéluctablement la dépression des âmes. À la moindre goutte de pluie, les rues se vident, la vie s’arrête, la vieille peur du Déluge Universel reparaît. Au moindre rayon de soleil, les sourires apparaissent, les corps se dénudent, on travaille presque en sifflotant. Ainsi va le caractère de l’Occidental, versatile selon les caprices de la météo…
Heureusement, ça ne rétrécit pas avec la pluie ! |
Le Vietnamien n’a pas ces états d’âme ! Ici, la pluie n’est qu’un incident de parcours. Et pourtant, quand l’eau tombe du ciel, c’est autre chose que les pluies, crachins, et mêmes orages de nos contrées atlantiques. Ici, le jet de la douche céleste est réglé au maximum, mais il n’empêche pas les motos de circuler, les voitures de rouler, les gens de marcher…, à condition de connaître le mode d’emploi.
Bulletin météo !
Ici, ce ne sont pas les grenouilles qui annoncent la pluie, c’est la floraison des «áo mua» (vêtement de pluie).
Il est extraordinaire de constater à quelle vitesse éclosent les ponchos en plastique juste avant que ne tombent les premières gouttes de pluie ! Suspendus dépliés aux branches des arbres devant les boutiques, enveloppés dans leurs sacs aux éventaires des marchés, couleurs pastels ou éclatantes, transparents ou opaques, en nylon ou en toile cirée, ils envahissent les trottoirs, véritable signal d’alarme pour le piéton ou le motocycliste imprévoyant parti de chez lui sans protection.
J’ai toujours été surpris par la faculté des vendeurs de ces vêtements de pluie, à savoir que la pluie va tomber à coup sûr ! Certains me diront qu’il est facile de prévoir la pluie, quand les nuages s’amoncellent et que le ciel s’assombrit, ou zébré des premiers éclairs et que résonnent les premiers coups de tonnerre. Pas si simple, car cette configuration se produit bien souvent sans qu’il pleuve, et dans ce cas, les fameux «áo mua» restent bien cachés au fond de leur placard.
Non, force est de constater que le vendeur d’«áo mua» est mieux informé que le météorologue ou la grenouille, et surtout qu’il ne se trompe jamais. Du moins selon l’expérience que j’en ai ! En tout cas, cette prescience m’évite de perdre du temps à regarder les prévisions quotidiennes des bulletins télévisés, ou demander à mon voisin s’il va faire beau aujourd’hui. Je pars de chez moi l’esprit tranquille, sans me charger d’un hypothétique imperméable : lorsque les «áo mua» fleuriront, il sera temps de prendre les dispositions qui s’imposent. À savoir, s’arrêter pour acheter un de ces vêtements parapluie et appliquer la seconde règle.
Sous cape... sans rire !
La culture physique ne sert pas qu’à se muscler, elle permet d’entretenir la souplesse suffisante pour se vêtir d’un «áo mua» !
En effet, si enfiler un imperméable occidental est aussi simple que d’enfiler une veste, l’opération est beaucoup plus complexe avec un «áo mua» vietnamien.
D’abord, il faut être capable de l’enfiler vite, sous peine d’être trempé. Ensuite, il faut choisir le type de protection que l’on désire, et compte tenu d’une des règles de base de l’économie de marché : moins c’est cher, moins la qualité est bonne. Et en l’occurrence, il faut choisir entre l’économie ou l’éclatement ! L’économie, c’est le poncho à moins d’un euro. L’éclatement, c’est celui dudit poncho, en plastique transparent d’un bleu ou d’un vert glauque, dont les coutures à peine soudées vont exploser lors du passage des bras dans les manches ou de la capuche sur la tête. Surtout lorsque l’on a une morphologie issue de la société de consommation et d’abondance !
Si on n’est assez souple et fin pour se couvrir de cet accessoire bon marché, on peut se tourner vers le modèle au-dessus, en plastique épais, donc plus solide, à la forme de cape sans manche. Encore faut-il savoir que s’il est à peu près parfait pour la marche, il convient de savoir s’asseoir avec si on est en moto…
En effet, si on ne prend pas la précaution de coincer sous ses fesses, les pans libres de la cape, ceux-ci ont une fâcheuse tendance à voleter à proximité des rayons de la roue arrière. Je vous laisse imaginer le résultat obtenu par une cape qui se coince dans les rayons d’une roue de moto ou de vélo qui, même à faible allure, est obligée de respecter les lois de la physique élémentaire, d’où enroulement des pans dans la roue, blocage brutal du véhicule, et strangulation par aspiration arrière du conducteur !
Outre ce danger, se protéger la tête, le corps, les jambes et les pieds, quand on est sur une moto, relève de l’exploit, car la surface couvrante de la cape de pluie n’est pas souvent proportionnelle à la superficie à couvrir. Sauf si l’on choisit le modèle supérieur : la bâche de pluie ! Celle-ci, en toile plus solide, recouvre le conducteur et la moto. Elle dispose d’une charmante fenêtre transparente en plastique pour laisser passer la lumière du phare avant. La porter donne la curieuse impression d’être sous une toile de tente ambulante ! Il existe même une version double, qui permet à un conducteur et un passager de partager la même bâche, en ouvrant une fenêtre dans le dos pour que le passager y passe la tête. Et obligation de la retirer avant de descendre de moto, sous peine de traîner derrière soi un passager garrotté.
Ainsi protégé, chacun peut vaquer à ses occupations, en attendant que le soleil revienne et fasse disparaître les «áo mua» comme par enchantement !
Je vous laisse : je dois aller sauter dans les flaques d’eau avec ma fille qui, elle, se fiche bien des «áo mua» couleurs pastels ou éclatantes, transparents ou opaques, en nylon ou en toile cirée...
Gérard BONNAFONT/CVN