En scène

Commune expression que celle-ci : «Alors, ceux-là, ils s’aiment : il n’y a pas photo !». Et bien, si, justement, au Vietnam, quand on s’aime, au point de se marier, il y a photo, et pas qu’une ! Souriez, vous êtes filmé...

La photo de mariage est un des grands classiques de cette cérémonie. Que l’on soit à Dijon ou à Hà Tinh (Centre), immortaliser sur papier glacé le couple vedette de la journée fait partie des incontournables. À l’époque des premiers daguerréotypes, mariés et cortège nuptial se figeaient déjà au signal de l’explosion de la poudre de magnésium. Le temps a passé, et à l’égal des costumes des futurs époux, la photographie est passée du noir et blanc à la polychromie. Simultanément, les photographes sont passés du stade de simple opérateur à celui de réalisateur. Il ne suffit plus d’appuyer sur un bouton en expliquant que le petit oiseau va sortir. Il s’agit de scénariser, de mettre en scène, «pour réaliser un reportage reflétant l’émotion de ce jour unique afin que l’émotion d’un instant devienne éternelle»... C’est du moins ce que dit la publicité d’un de ces artistes du cliché nuptial ! Et, au Vietnam, questions clichés, on s’y connaît !

Capter l’émotion inoubliable de l’instant...


Changement de décor

Une des règles de base de la photo de mariage, c’est de mettre en valeur les acteurs principaux dans un décor romantique à souhait. Depuis longtemps déjà les portraitistes du bonheur ont abandonné les faux paysages de studio, pour exploiter les ambiances que leur offre leur environnement. C’est ainsi dressée une sorte de carte du tendre, jalonnée d’étapes où se retrouvent tous les postulants à icône conjugale.
Quelques lieux sont devenus mythiques. À Hô Chi Minh-Ville, les abords de la cathédrale face à la grande Poste, la place devant l’Hôtel de Ville, le parc du Palais de la Réunification. À Hanoi, le parc du Temple de la Littérature, les berges du lac Hoàn Kiêm, les abords de l’hôtel Métropole, l’esplanade Lý Thái Tô, pour ne citer que ceux-là...
Autant d’endroits où, si vos pas vous y conduisent, vous pourrez assister au premier rang, à des séances photos dignes de concours de miss... Et pour ceux qui ne vivraient pas dans ces grandes villes, cherchez une rivière, un parc arboré, un lac, un monument... et vous aurez de fortes chances de découvrir futurs mariés et photographes ! Il existe même des sites à louer en pleine nature ! J’ai en mémoire cette cascade somptueuse qui déroule son rideau d’eau tumultueuse au dessus d’un bassin enchâssé dans les rochers. Le soleil s’y reflète, et l’endroit offre des couleurs de paradis. Pour y arriver, il faut suivre une petite route, connue seulement des habitants locaux et des buffles qui viennent s’y baigner aux heures chaudes. Quand je me promène dans cette région, j’ai pris l’habitude de m’y arrêter pour pique-niquer, abrité sous le toit de latanier d’une gargote qu’un propriétaire avisé a édifié au bord de la route, pour que le voyageur fatigué s’y rafraîchisse.
Au fil des ans, alors que l’eau continue de couler, immuable, j’ai vu la gargote se transformer en karaoké, puis apparaître des panneaux publicitaires indiquant «boissons, crème glacée, photos de mariage…. Comme quoi le destin nous rattrape toujours : localement la cascade est nommée «Voile de la mariée» ! Mais, si le décor est un des éléments de base à lui seul, il ne suffit pas pour faire le spectacle ! Et contrairement à ce que l’on pourrait croire, le principal acteur de cette mise en scène, ce n’est pas le couple d’amoureux, qui finalement n’est là que pour faire bonne figure en faisant de la figuration ! Non, l’acteur, le comédien, la star, c’est le photographe !

Le temps a passé, et à l’égal des costumes des futurs époux, la photographie est passée du noir et blanc à la polychromie.

Changement de point de vue
L’énergumène qui se roule par terre, se tortille dans tout les sens , en collant contre son œil un boîtier doté d’un énorme objectif, n’est pas échappé d’un quelconque centre de désintoxication. C’est le photographe ! C’est que pour être crédible, il ne suffit pas de savoir appuyer sur un déclencheur au bon moment, pour saisir la couleur, l’émotion et ce quelque chose d’indéfinissable qui fera de la photo une œuvre d’art. Non ! Fidèle à l’ostentation locale, il faut en rajouter pour mériter le prix que l’on fait payer ! Et, lorsque j’en ai l’occasion, je ne peux résister à savourer cette exhibition digne d’un numéro de cirque parfaitement réglé ! Tout d’abord, comme je l’ai dit, il faut posséder un appareil digne d’un photographe de mode. Reflex ou numérique, il faut qu’il soit doté des dernières technologies, et si possible accompagné d’un cortège d’objectifs à faire pâlir d’envie un paparazzi.
Inutile de vous proposer avec un compact, aussi performant soit-il, vous serez refoulé : pas assez pro, pas à la hauteur de l’événement du jour ! Mieux, si vous pouvez être accompagné d’un ou d’une assistante manipulant un réflecteur de lumière, vous montez d’un cran dans la maîtrise de votre art. Alors, en un ballet bien organisé, le spectacle peut commencer. L’artiste peut s’agenouiller, se hisser sur la pointe des pieds, se coucher sur le sol, se plier à angle droit ou à d’autres improbables, donner des ordres à son assistant, torturer ses modèles pour qu’il prenne la pose, mitrailler, cibler, tripler... l’important est qu’il montre un rictus permanent, signe de sa fièvre créatrice et de la douleur de l’enfantement de l’œuvre ! Quand enfin, échevelé, couvert de sueur et de poussière il cesse son activité épileptoïde, c’est dans la boîte ! Mais ne croyez pas pour autant que les mariés en ont fini... Comme dans toute pièce de théâtre, il y a les changements de costumes...

Changement de costumes

Or, si on dispose des décors et des acteurs, la seule chose qui manque, ce sont les coulisses et les loges. Qu’importe, le moindre petit bosquet fera l’affaire, et à défaut, les amis invités pour l’occasion feront un rempart à la pudeur des futurs époux... ou plus généralement, de la future épouse. En effet, si la toilette du marié est uniforme, au point parfois, d’en être monotone, les toilettes à disposition de la mariée sont plus variées : robe longue avec traîne, robe courte agréablement audacieuse, «áo dài» traditionnel..., autant de parures dédiées à la beauté féminine, et qu’il faut bien endosser alternativement.
Spectacle surprenant, l’autre jour, en garant ma moto sur le terre-plein qui fait face à l’hôtel Métropole, à Hanoi. À l’extrémité du parking, des boqueteaux de bambous entourant un banian. Là, bien peu protégée des regards indiscrets, une jeune femme, aidée par une amie, déboutonne sa longue robe de tulle blanche, tandis qu’une autre femme prépare à son intention la courte robe couleur lilas qu’elle doit revêtir pour une seconde séance de photo. Avec une parfaite coordination la longue robe s’affaisse doucement autour du buste, et la robe courte glisse rapidement par la tête, et, exploit absolu, sans déranger la coiffure savamment arrangée. Fregoli moderne, la nymphe a changé de robe en un clin d’œil. Voyeur s’abstenir, tout se passe si vite, avec tant de tact et d’habileté qu’il est impossible de voir ce qui reste réservé au marié ! Et c’est tant mieux, car c’est cette pudeur impudique qui fait tout le charme de cette scène... Je dois quand même donner un coup de coude au gardien de parking pour qu’il tourne la tête vers moi et me donne mon ticket. Dans le même temps ma femme, insensible à la beauté du moment, me tire par le bras pour aller voir ailleurs ce qui se passe !
Tiens, il faudra qu’on regarde nos photos de mariage ce soir !

Gérard BONNAFONT/CVN


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