Place aux jeux

C’est peu de le dire : il y a beaucoup d’enfants au Vietnam. Il n’est que de se promener dans les rues ou sur les places des villes et villages pour voir des cohortes de bambins en pleine activité. Et il est à Hanoi, notamment, des lieux que les enfants ne se privent pas d’investir !

 

Alors, ça roule ?


En cette soirée d’août, des envahisseurs se sont emparés d’un haut lieu historique de Hanoi : la place Ba Dinh. Devant le Mausolée de Hô Chi Minh, ils sont des centaines à fouler l’esplanade. Et pourtant, la Garde d’Honneur reste imperturbable ; les policiers et les soldats, disséminés ça et là pour veiller au respect des règles de conduite en un tel lieu, ne cillent pas. Sans doute, l’âge moyen de cette horde, y est-il pour quelque chose…
Cible mouvante
Il suffit de prendre les allées damées qui découpent les carrés de pelouse matérialisant les rizières vietnamiennes pour pénétrer sur une esplanade illuminée par de hauts projecteurs et noire de monde. Le Vietnam est un pays jeune, et ça se voit ! À croire que toutes les familles de Hanoi ont décidé de promener leur progéniture ce soir…
Ça grouille de petits, à peine dotés de la bipédie, qui glissent sur la surface bétonnée comme des skieurs débutants sur la neige verglacée d’une pente alpine. Ça fourmille de garçonnets et fillettes, tout juste maîtres de la parole, qui exercent cette nouvelle faculté, en poussant des cris d’orfraie, en se courant les uns après les autres. Ça pullule de nourrissons, pas encore sevrés, qui arpentent le parvis par procuration, tendrement blottis dans les bras maternels ou contre l’épaule paternelle. Même les fœtus sont de la partie, bien au chaud dans les ventres maternels, dont on devine à l’arrondi que certains sont prêts à rejoindre l’immense cohorte de leurs autonomes prédécesseurs. On voit même de-ci de-là quelques hypothétiques êtres à venir, dont les propriétaires de leurs chromosomes se tiennent amoureusement l’un contre l’autre, promesse d’une union à venir…
Ce soir, ma fille n’a pas attendu l’autorisation parentale pour se précipiter dans cette foule puérile. En un clin d’œil, elle a ciblé un de ses congénères, moins âgé qu’elle, qui pousse hardiment un trotteur. Profitant de son statut d’aînée, elle vient se poster à côté du petit, en le fixant droit dans les yeux. Tactique d’intimidation qui somme le possesseur du trotteur de le lui abandonner. Devant l’inquiétude du tout-petit qui se sent déjà écrasé par cette silencieuse sommation, elle pousse son avantage en mettant la main sur la poignée de l’engin, tout en tenant le propriétaire de son autre main. Puis, elle accélère progressivement le rythme de la marche, ce qui contraint le plus jeune, soit à lâcher le guidon, soit à être traîné au sol. Choisissant la première solution, il se fait repousser d’une main ferme par son adversaire qui, satisfaite de l’effet escompté, transforme le paisible trotteur en une improbable voiture de course, zigzaguant en riant à tue-tête entre les grands et les petits. Le vaincu, qui commence à réaliser que son compagnon de jeu vient de lui être subtilisé, regarde d’un air indécis ses parents. Que doit-il faire ? Pleurer ? Hurler ? Attendre de connaître le montant de la rançon ? Et dans tous les cas, quel appui peut-il attendre de ses protecteurs naturels ?

Allons-y, il y a de la place pour tout le monde !


Pour l’heure, ceux-ci affichent un large sourire devant l’effronterie de notre fille. Je dois dire que je suis toujours étonné de voir combien, surtout au Vietnam, les frasques des enfants n’entraînent pas de conflits entre parents, comme c’est hélas bien souvent le cas en Occident ! En d’autres lieux, nous, les parents de l’indigne kidnappeuse, aurions été vilipendés, agonis d’injures, et sommés de remettre immédiatement les choses dans l’ordre, sous peine de contusions ou pire encore. Ici, rien de tout cela. Au contraire, c’est l’occasion pour mon épouse et ma belle-sœur d’entrer en contact avec les parents et l’enfant, et d’entamer une conviviale conversation sur les mérites comparés de nos chérubins, chacun excellant à faire le plus de compliments possibles sur l’autre !
Victoire facile
Devant cette objective alliance des adultes, l’ex-possédant du trotteur décide de tenter sa chance avec un plus petit que lui qui, assis au beau milieu de l’esplanade, s’exerce à obtenir d’un hochet, le plus de cacophonie possible. Je profite d’un arrêt de ma fille au stand pour l’intercepter et l’inciter à rendre son bolide à son légitime propriétaire. Chose aisée, puisque ma fille avait déjà repéré un ballon momentanément abandonné qui roule dans notre direction. En outre, je constate que ma chevaleresque intervention ne touche nullement l’ayant droit, trop intéressé par le hochet dont il s’est emparé. Ni ses parents qui acceptent nonchalamment le retour du trotteur, pour le laisser repartir avec un autre enfant, tout en continuant à converser avec les parents de ce dernier !
Finalement, désintéressée de sa facile victoire, ma fille vient me tirer par la main pour que nous quittions l’immense place et en retrouvions une plus petite, mais à la population encore plus dense s’il en est : la place Lénine. Située à quelques encablures de la place Ba Dinh, elle présente pour les moins de sept ans un intérêt non négligeable : la possibilité de conduire des voiturettes et des scooters électriques ou radiocommandés ! Entre patineurs à roulettes, amateurs de planches roulantes et autres fervents de sports acrobatiques, les bouts de choux exercent leurs talents de futurs conducteurs, en percutant violemment les chevilles des adultes, en s’offrant des embouteillages monstres et en se brûlant allègrement la priorité...
Décidemment, les soirées sont chaudes sur ces places, mais, à voir cette foule d’enfants et de parents, où les mots famille et familiarité se conjuguent à plaisir pour faire de ces lieux solennels un endroit de vie et de bonheur, on se dit que c’est ça aussi le Vietnam !

Texte et photos : Gérard BONNAFONT/CVN

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