En relisant les Écrits à l’Armée de Nguyên Trai

L’œuvre Écrits à l’Armée est une collection de documents militaires et diplomatiques rédigés par le lettré et homme politique Nguyên Trai pendant l’insurrection de Lam Son, à la demande et au nom de Lê Loi, futur roi fondateur de la dynastie des Lê postérieurs.

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Nguyên Trai compte parmi les plus belles figures de l’histoire et de la culture du Vietnam.
Photo : CTV/CVN

C’est avec beaucoup de plaisir que nous avons accueilli la nouvelle édition des Écrits à l’Armée (Quân trung tu mênh) de Nguyên Trai (1380-1442), édition réalisée par Nguyên Van Nguyên, dans la collection bibliothèque vietnamienne (École française d’Extrême-Orient) que dirige Philippe Papin.

Les Écrits à l’Armée de Nguyên Trai - Questions de philologie de Nguyên Van Nguyên, par ses nombreuses et nouvelles informations textologiques, est une contribution précieuse à l’étude de l’œuvre.

L’insurrection de Lam Son à Thanh Hoa

Ce qui me frappe à la relecture de l’ouvrage, c’est son caractère d’actualité. Je n’ai pu m’empêcher d’effectuer un rapprochement entre la pensée de Nguyên Trai et celle de Hô Chi Minh concernant l’attitude morale à l’égard de l’ennemi et des prisonniers de guerre. Plaçons les Écrits à l’Armée dans son contexte historique. Au début du XVe siècle, la dynastie chinoise des Ming occupait le Vietnam. Retranché dans les montagnes de Lam Son à Thanh Hoa (partie septentrionale du Centre), Lê Loi, futur roi fondateur de la dynastie des Lê postérieurs (1428-1527), aidé de Nguyên Trai, mena une guerre de résistance de dix ans (1418-1428). Au nom du roi, Nguyên Trai rédigea la correspondance adressée au commandement chinois et des ordonnances à l’intention des insurgés et de la population. Ces documents rassemblés forment le corpus des Écrits.

Les lettres présentent un intérêt particulier en ce sens qu’elles révèlent un aspect original de la guerre, "la conquête du cœur de l’adversaire", laquelle constitue avec l’action militaire et l’action diplomatique, les trois axes stratégiques de la lutte pour l’indépendance nationale. Il fallait faire un travail de persuasion et de conviction auprès des militaires chinois Ming, leur démontrer que leurs campagnes militaires étaient inéluctablement vouées à l’échec, et surtout faire appel à leur sens de l’humanité (respect de la justice, des droits des peuples, épargner le sang…). Il ne s’agit donc pas de la guerre psychologique moderne, mais plutôt de faire admettre par l’adversaire la nécessité de mettre fin à une guerre injuste et inutile.

Nguyên Trai compte parmi les plus belles figures de l’histoire et de la culture du Vietnam.
Photo : CTV/CVN

L’extrait suivant d’une lettre à Vuong Thông, commandant en chef chinois, montre la rhétorique propre à Nguyên Trai :

"En me mettant à votre place, je vous trouve six raisons de défaite :
Premièrement, les crues s’aggravent, vos remparts tombent en morceaux, les vivres manquent, vos chevaux meurent comme des mouches, vos hommes sont malades.
Deuxièmement, jadis, Duong Thái Tông a capturé Khiên Duc, et Thê Sung fut obligé de capituler. Aujourd’hui, toutes nos passes sont gardées par nos hommes et nos éléphants, vos renforts courent au-devant d’une déroute certaine. Les renforts défaits, vous serez nécessairement capturés.
Troisièmement, vos troupes d’élite, vos meilleurs chevaux sont concentrés aux confins septentrionaux de l’Empire, face aux Yuan, et personne ne s’occupe du front du Sud.
Quatrièmement, votre gouvernement ne cesse de fomenter des guerres, de lancer des expéditions, accablant le peuple qui s’agite et se désespère.
Cinquièmement, chez vous règne un empereur trop jeune, des ministres fourbes font la loi, des conflits fratricides, des troubles incessants déchirent la Cour.
Sixièmement, j’ai appelé nos hommes au nom d’une juste cause, et d’un seul cœur, nous luttons avec abnégation. Chaque jour, nous nous endurcissons, chaque jour, nous fourbissons nos armes. Nos hommes labourent tout en faisant la guerre, tandis que la défaite démobilise vos soldats assiégés, et à bout de souffle"
.

La politique de clémence de Hô Chi Minh

Le paragraphe six aurait pu être signé Hô Chi Minh. Il dit l’essence de la guerre du peuple telle qu’elle a été menée dans l’histoire contemporaine contre les Français et les Américains. En particulier, la stratégie de "la conquête du cœur de l’adversaire" de Nguyên Trai fait penser à la politique de clémence de Hô Chi Minh à l’égard des prisonniers de guerre, politique qui, par-delà l’intérêt national de l’heure, est motivée par un souci humaniste non sans rapport avec le vatyagraha de Gandhi dont Hô Chi Minh était un fervent admirateur.

Les capitaines français Lucien Maury, Jean Deniel et G. Vollaire, prisonniers de guerre, avaient écrit à ce sujet : "Le Président Hô Chi Minh et son peuple ont considéré que nous n’étions que des instruments aveugles, des soldats abusés par une propagande mensongère… La captivité ne doit pas être un châtiment, mais une occasion pour les prisonniers de guerre de se métamorphoser en partisans de la paix. Ce point de vue repose sur une clairvoyance et une sagesse exceptionnelles, nées d’une pensée démocratique constamment en éveil". Dans les camps, on n’incitait pas les prisonniers à tourner les armes contre l’armée française, mais ils étaient encouragés à discuter librement pour prendre conscience de l’injustice de la "sale guerre" coloniale condamnée par le peuple français lui-même. Aucune contrainte, le terme "lavage de cerveau" sonne faux ici. Entre parenthèses, les ennemis de G. Boudarel, objecteur de conscience, ne peuvent comprendre cette vérité, eux qui l’accusent d’avoir participé à l’endoctrinement dans les camps de prisonniers Vietminh.

Fait je crois unique dans l’histoire des guerres, le haut commandement de l’Armée populaire du Vietnam avait libéré durant la première guerre d’Indochine, vers les postes ennemis des milliers de prisonniers européens et africains. Pour jouer ainsi avec le feu, il fallait avoir confiance en l’homme. L’histoire lui a donné raison. Nos services secrets ont révélé que la presque totalité des prisonniers de guerre libérés, conquis par notre cause, n’avaient pas poursuivi la guerre.

Huu Ngoc/CVN
(Février 2000)

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