Indigné par les conditions des mal logés, il lance dès 1949 les communautés Emmaüs "pour et avec les plus défavorisés". Aujourd'hui, plus de 308 organisations locales déclinent les mêmes valeurs de solidarité dans 36 pays.
Au nord-ouest du Bangladesh, le village de Thanapara s'étire le long du Gange. Tout à coup, un cri retentit, c'est l'annonceur public du groupe Emmaüs local. Il proclame les droits des femmes et rappelle à tous la loi qui interdit le mariage des enfants. Un moyen sûr et efficace de sensibiliser cette solide communauté. Pourtant Thanapara revient de loin. Lors des soubresauts de l'indépendance, en 1971, tous les hommes du village sont massacrés, laissant les femmes sans ressource et sans protection. Une organisation non gouvernementale suédoise - plus tard membre d'Emmaüs - vient alors les épauler. Les femmes s'organisent entre elles et lancent leur propre activité économique. 250 personnes travaillent aujourd'hui dans leur atelier de fabrication de vêtements éthiques. La stabilisation économique des familles permet désormais de s'attaquer à d'autres problèmes : les violences conjugales d'abord, mais aussi l'accompagnement des soins de santé, l'approvisionnement en eau, polluée par l'arsenic, ou encore la mise en place de micro-crédit entre les villageois. Une école est ouverte qui scolarise plus de 600 enfants. Enfin, les agriculteurs se sont convertis à l'agriculture biologique, sécurisant ainsi l'approvisionnement en semences et en engrais. Une expérience qui fait tâche d'huile auprès des villages alentours, frappés par l'autonomie et la solidarité de Thanapara.
Servir premier le plus souffrant
"C'est toute la philosophie d'Emmaüs que l'on retrouve dans ce groupe, explique Catherine Tittelein d'Emmaüs International, servir premier le plus souffrant, quel qu'il soit, sans aucune forme de discrimination et localement mettre en place des activités économiques avec les plus exclus pour l'accès aux droits fondamentaux de chacun". Cinq programmes : accès à l'eau, à la santé, à l'éducation mais aussi finance éthique et droits des migrants servent de panneaux de direction à tous les groupes à travers le monde. "Chacun a sa spécificité et répond à des besoins locaux", poursuit Catherine Tittelein. Ainsi, le groupe espagnol de San Sebastian, a crée une entreprise d'insertion et de recyclage performante qui emploie plus de 100 personnes. Réfléchissant aussi sur les rebuts de la société de consommation, le groupe a organisé un concours artistique et populaire sur la récupération et met à disposition en été, à différents points de leur ville, des frigos remplis de... livres ! Dans la Bosnie-Herzégovine d'après guerre, quand se sont fermés les camps de réfugiés, les personnes âgées ou isolées ainsi que les personnes handicapés mentales complètement désorientées se sont retrouvées sans nulle part où aller. Le jeune et dynamique groupe Emmaüs local a mis en place une boulangerie et une miellerie qui permettent l'accueil et le travail de ces laissés pour compte. "L'idée est de leur donner un cadre pour structurer les journées, mais aussi leur donner les moyens de vivre à nouveau dignement, explique Majda Bouchanine, chargée de mission à Emmaüs International. L'activité économique n'est pas une finalité en soi, mais aide à se remettre en marche pour ensuite aider aussi les autres".
Aider les autres pour s'aider soi
Ainsi, au Bénin, des jeunes en difficulté, accueillis loin de la capitale, financent, par leurs activités de maraîchage, la scolarisation d'enfants de Cotonou. Les petits ont classe dans les locaux d'Emmaüs pendant que leurs mamans trient des vêtements arrivés des groupes européens par containers. Une fois la classe finie et le tri fait, les mamans partent revendre les vêtements de seconde main sur les marchés pour pouvoir assurer le quotidien de leur famille.
Les groupes Emmaüs reprennent l'intuition géniale de l'Abbé Pierre selon laquelle "c'est en sauvant les autres, que l'on se sauve soi-même". En effet, l'Abbé Pierre croisa la route d'un homme qui voulait se suicider, l'abbé Pierre le persuada qu'il pouvait être utile à d'autres malgré sa misère en construisant des logements de fortune pour les sans abris. L'homme, premier compagnon d'Emmaüs, s'était trouvé ainsi des raisons de vivre et une nouvelle dignité.
Des groupes uniques
Quand les communautés Emmaüs ont bourgeonné en France, l'Abbé Pierre se rendit à l'étranger pour donner des conférences, notamment en Amérique Latine, éveillant le désir de certains, dès 1971, de lancer des groupes dans leurs pays. Formidable brassage de bonne volonté et d'expériences, les camps de jeunes, où des jeunes de tous pays consacrent quelques semaines de leurs vacances d'été à aider des groupes sur des projets précis, permettent aussi de se familiariser avec l'esprit du mouvement. Emmaüs, quoique fondé par un prêtre catholique, est un mouvement apolitique et non confessionnel. Quand une initiative surgit, les groupes du continent concerné analysent la proposition puis proposent éventuellement un accompagnement du projet durant plusieurs années avant de l'intégrer définitivement dans le mouvement. L'organisation est très démocratique, il n'y a pas de centralisation, des impulsions communes plutôt et un échange d'expériences qui permet à chaque groupe de façonner sa propre réponse aux défis qui l'entourent. Aujourd'hui, plus de 200.000 personnes environ sont engagées dans les groupes Emmaüs à travers le monde, mais des millions des personnes bénéficient de leurs actions de solidarité et de partage.
L'Abbé Pierre, mort en 2007, a passé un relais vivant et pertinent face aux bouleversements du monde.
AFP/CVN
(04/06/2010)