Drôles de tirelire

Comme disait ma grand-mère, il n’y a pas de petites économies. Encore faut-il savoir en faire, et s’il est bien quelqu’un capable de prouesses en la matière, c’est bien la ménagère vietnamienne. Encore lui faut-il quelques accessoires…

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Cochon gras

Fils de chèque et de livret, je suis toujours étonné et amusé de voir de quelle façon mon épouse fait fructifier l’épargne familiale. Elle dispose pour cela de deux outils fondamentaux : une tirelire et un coffre-fort.

La tirelire, un volumineux cochon à fleurs en céramique, sert à recueillir la menue monnaie qui traîne dans les poches au moment de la lessive quotidienne. Qui traîne dans mes poches, à vrai dire !

En effet, comme la lessive ne concerne que les vêtements des membres de la famille, et que ma femme ne met jamais son argent dans ses poches mais dans son "ví" (porte-monnaie), que ma belle-sœur en fait autant et que ma fille préfère remplir les siennes de cailloux, papiers de bonbons ou sucettes entamées, je suis le seul à empocher mes instruments de paiement. Et si je n’ai pas le réflexe de vider le contenu de mes vestes, gilets, pantalons ou shorts, avant de les délaisser pour d’autres, tous les billets inférieurs ou égaux à 10.000 dôngs qui s’y trouvent sont impitoyablement introduits par la fente qui se trouve au-dessous de la queue de l’énorme cochon rieur. Fin misérable, s’il en est, pour d’honnêtes billets qui n’en peuvent mais.

Combien de fois ai-je envie de transformer cet ignoble animal, qui me nargue depuis le meuble sur lequel il est posé, en gigots de céramique ! Il suffirait d’un rien : un geste maladroit, une chute par inadvertance, un mouvement brusque, pour que le goinfre porcin éclate en petits morceaux, libérant ainsi le produit de la sueur de mon front.

Mais, telle une vestale farouche, mon épouse veille, et je sais que quelque soit mon excuse, je ne trouverais pas grâce à ses yeux et qu’outre à subir son courroux, je me verrais confisquer, en guise de réparation, l’intégralité des sommes régurgitées… Il ne me reste plus qu’à attendre que le goret soit plein pour que son destin s’accomplisse. Car qui vivra verra, cochonnailles finira.

Mais à voir comme mon épouse plie soigneusement chaque billet pour qu’il occupe le moins de place possible dans le ventre du pourceau, ce n’est pas demain la veille. En effet, il ne s’agit pas ici de valoriser l’épargne, mais simplement de faire des économies… au cas où ! Et s’il n’y a pas de cas où, alors l’argent ainsi économisé rejoindra l’autre circuit, celui de l’investissement.

Coffre-fort

C’est là que le coffre-fort entre en jeu ! Je me souviens de l’arrivée de ce pesant accessoire dans notre foyer. Mon épouse avait été le choisir dans un de ces innombrables commerces spécialisés en la matière et qui parsèment les rues de Hanoi.

Économiser jour après jour, une affaire en or.
Photo : CTV/CVN

Comme pour une pastèque ou un áo dài, il a fallu l’examiner sous toutes les coutures, jauger sa fiabilité, estimer sa solidité, juger son esthétique. Il le fallait ni trop petit (ça aurait fait chambre d’hôtel), ni trop gros (ça aurait fait prétentieux). Il fallait qu’il donne suffisamment de fils à retordre à un indélicat cambrioleur, mais qu’il ne soit pas trop imposant pour éviter qu’on ne confonde ma maison avec la succursale bancaire du coin !

Quand, après de nombreuses tergiversations, le choix conjugal s’est arrêté sur une centaine de kilos de fonte argentée munies d’une porte à quadruple serrure, monsieur coffre-fort a été intronisé gardien de notre épargne. Vous auriez vu la tête de lard du cochon quand il a vu arriver son concurrent blindé. Et surtout quand celui-ci a eu droit à une place de choix dans notre chambre, alors que le pourceau ne mérite qu’une place commune parmi les bibelots du salon.

Laissant le vampire de mon argent ravaler sa bile, nous avons scellé notre coffre-fort au mur et il ne restait plus qu’à le remplir. Pour cette seconde étape, mon épouse a fait le tour des bijoutiers de la place pour scruter consciencieusement les taux de vente et d’achat de l’or. Après avoir accompli cette mission durant une semaine, elle s’est décidée à transformer les économies de la quinzaine en petites plaquettes d’or qui, au regard de la modeste somme mise en jeu, se sont trouvées un peu perdues au fond de l’estomac béant de notre coffre-fort.

Qu’importe, quinzaine après quinzaine, fourmi inlassable, ma femme profitait des jours à coût bas pour acquérir de petites plaquettes, qui s’empilaient auprès de leurs prédécesseurs (Non, il n’y a pas de féminin pour ce mot-là). Cochon et coffre s’emplissaient et la vie suivait son court.

Puis un jour, l’or s’est offert une belle remontée. Après avoir pris la température pendant quelques jours, mon épouse décide de vider le coffre aux 3/4 pour changer les plaquettes en billets, effectuant une confortable plus value au passage. Mais pas question pour autant de profiter des gains bien acquis. Les billets rejoignent les plaquettes restées dans le coffre-fort, nonobstant une infime part dévolue au fondement du cochon.

Quelques semaines plus tard, à la faveur d’une défaveur du métal jaune, les billets sont de nouveaux transformés en or, le temps d’une visite chez le bijoutier du coin. Mieux que Nicolas Flamel !

Voilà comment entre cochon et coffre-fort, comme des milliers d’autres Vietnamiennes, mon épouse fait fructifier notre épargne. Mais le plus difficile arrive maintenant. Comment lui expliquer que la thésaurisation sur l’or peut entraîner une spéculation dangereuse pour l’économie du pays, et qu’il faudrait peut-être songer à d’autres formes d’épargnes ? Ceci étant, celui que je plains le plus, c’est le conseiller financier qui lui proposera des placements. Avec la surveillance dont il sera l’objet de la part de mon épouse, il risque fort des migraines à court, moyen et long termes…

Comme quoi économiser, c’est finalement une affaire de coffre et de tête de cochon !

Gérard BONNAFONT/CVN

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