Dans l'Est du Népal, le téléphérique de la discorde

Développement touristique contre protection de l'environnement. Dans l'Est du Népal, le district reculé de Taplejung se déchire depuis plusieurs mois autour d'un projet de téléphérique qui menace une forêt sacrée et toute l'économie de la région.

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Des cabines de téléphérique sur la colline de Chandragiri, à la périphérie de Katmandou, le 3 février au Népal.
Photo : AFP/VNA/CVN

Au début de l'année, la querelle a viré à la bataille rangée quand la police a tiré à balles réelles contre des manifestants férocement opposés au projet, faisant quatre blessés graves.

La décision des protestataires de lever leurs actions en échange d'une suspension des travaux a fait retomber la tension, provisoirement. Mais sur le terrain, le feu continue de couver et 14 personnes ont été blessées jeudi 20 février - dont 11 membres des forces de sécurité.

"Nous manifestions pacifiquement quand des hommes de main ont brandi des kukris (grands couteaux) et nous ont attaqués", affirme Shree Linkhim Limbu, le coordinateur du comité de défense du site, déterminé à poursuivre son combat jusqu'à l'abandon du projet.

Tout a débuté lorsque le riche homme d'affaires Chandra Dhakal, président de la chambre nationale de commerce et d'industrie et proche du Premier ministre KP Sharma Oli, a annoncé en 2018 la construction d'un téléphérique pour monter au temple de Pathibhara.

Le site de construction d'un téléphérique menant au temple Pathibhara Devi, dans le district de Taplejung, dans l'Est du Népal, le 21 janvier.
Photo : AFP/VNA/CVN

Environ 300.000 personnes visitent chaque année ce site de pèlerinage hindou, après plusieurs heures de marche dans les contreforts de l'Himalaya.

Le gouvernement affirme que le projet de 2,5 km de long pour un coût de 21 millions d'euros va doper la fréquentation du temple, pour le plus grand bénéfice de l'économie locale. Il le décrit comme un "projet de fierté nationale".

Un qualificatif rejeté par une partie de la population locale, qui redoute les dégâts irréparables causés à la nature, dont une forêt que la communauté indigène des Limbu considère sacrée.

"Massacre"

"Ce n'est rien moins qu'une immixtion directe et brutale de l'État", dénonce Shree Linkhim Limbu. "Comment parler de fierté nationale quand l'État ne fait que servir des intérêts particuliers ?"

Manifestation contre la construction d'un téléphérique menant au temple de Pathibhara Devi, dans le district de Taplejung, le 22 janvier au Népal.
Photo : AFP/VNA/CVN

L'État a autorisé la coupe de plus de 10.000 arbres de la forêt, qui abrite des espèces animales menacées comme le panda rouge, l'ours noir ou le léopard des neiges.

"Nous les Kirat (indigènes) vénérons les arbres, les pierres et tous les êtres vivants. Ils massacrent notre foi", s'indigne Anil Subba, metteur en scène d'une pièce de théâtre anti-téléphérique jouée un mois dans la capitale Katmandou.

La "benne" du patron du groupe IME n'est pas non plus du tout du goût des quelque 500 porteurs, vendeurs de thé et hôteliers du cru, qui redoutent de voir se tarir le flux de leurs marcheurs de clients.

"On transporte les fidèles jusqu'à Pathibhara depuis des générations", rappelle un de ces coolies, Chandra Tamang, 38 ans. "S'ils montent par-dessus nos têtes en téléphérique, comment est-ce que nous allons pouvoir survivre ?"

Des arbres abattus pour la construction d'un téléphérique menant au temple Pathibhara Devi, dans le district de Taplejung, le 23 janvier au Népal.
Photo : AFP/VNA/CVN

Ce front du refus est toutefois loin d'être unanime.

"Ça va ramener du développement ici", juge Kamala Devi Thapa, une résidente de 45 ans, qui argue que le téléphérique permettra d'attirer plus de "pèlerins âgés" sans empêcher les plus jeunes ou entraînés de marcher.

Récemment, les télécabines ont poussé comme des champignons au Népal. Cinq des huit à ce jour en service ont été construites ces deux dernières années et dix autres sont en cours de construction.

"Jusqu'au bout"

Plusieurs le sont par le groupe IME de M. Dhakal.

Le but des autorités est clair : doper le secteur du tourisme qui, selon le Conseil mondial du voyage et du tourisme (WCTT), concourt à 6% du produit intérieur brut (PIB) d'un pays où le taux de chômage frôle les 10%.

Des militants passent devant des arbres abattus lors d'une marche vers le temple de Pathibhara Devi, dans le district de Taplejung, le 22 janvier au Népal.
Photo : AFP/VNA/CVN

Au-delà du seul projet de celui de Pathibhara, c'est toute la politique environnementale du gouvernement qui est en question, dans un pays recouvert à 45% de forêts.

Selon le ministère de l'Environnement, 255.000 de leurs arbres ont été coupés en 2024.

"Le gouvernement autorise la déforestation au nom du développement, cela aura des conséquences à long terme", avertit Rajesh Rai, professeur à l'université Tribhuvan de Katmandou.

Imperturbable, le promoteur du téléphérique assure que son projet va créer un millier d'emplois et balaie toutes les oppositions d'un revers de main.

"Ce n'est qu'un moyen de transport, il n'affectera ni l'écologie ni la culture locale", assure M. Dhakal. "Si les gens peuvent survoler la région en hélicoptère, pourquoi pas en téléphérique ? En plus, nous faisons la promotion d'une énergie propre..."

L'argument laisse Kendra Singh Limbu, 79 ans, de marbre. "Nous luttons là pour préserver notre héritage", tempête cet opposant de la première heure, "et nous continuerons jusqu'à l'annulation pure et simple du projet".

La communauté est désormais divisée entre les anciens et les jeunes, remarque Anand Gautam, un journaliste local. "Pour certains, il est synonyme de progrès, pour d'autres de destruction".

AFP/VNA/CVN






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