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Dans le petit souterrain d’Oulitsa 1905, dans le nord-ouest de Moscou, des centaines de piétons passent chaque jour devant 20 kiosques de 8 mètres carrés chacun.
«J’y achète souvent des petits trucs pratiques pour la maison, car c’est entre mon bureau et mon domicile», explique Marina Riabikova, 38 ans, une juriste qui se dit «débordée».
Des piétons passent devant les kiosques souterrains de Moscou. |
Photo : AFP/VNA/CVN |
Mégalopole de 12 millions d’habitants, Moscou est morcelée par d’immenses autoroutes et les souterrains permettent aux Moscovites de les traverser tout en se protégeant des rafales de vent glacial.
Dans les années 1990, avec la libéralisation de l’économie, près de 22.000 points de vente sauvage dans les souterrains de Moscou ont essaimé.
Sans aucun contrôle des autorités, des grands-mères vendaient ainsi des chaussettes tricotées main sur des planches de bois, et des groupes de Moscovites s’arrêtaient pour boire une bière ou manger sur le pouce avec leurs amis.
Mais depuis son arrivée à la mairie de Moscou en 2010, Sergueï Sobianine n’a eu de cesse d’estomper le côté populaire de la capitale, en réduisant à son minimum le nombre de marchés de rue et de kiosques.
Aujourd’hui, après un été consacré à de lourds travaux de rénovation, il ne reste plus que 459 kiosques, tous enregistrés par la mairie, selon Nikolaï Tsvetkov, responsable des souterrains pour le service de la voirie de Moscou, Gormost. «Les conditions de travail (des vendeurs) sont devenues plus confortables», affirme-t-il, en soulignant que chaque souterrain a accès à l’eau courante, l’électricité, des toilettes et respecte les normes de sécurité et d’hygiène.
«De nombreux souterrains n’avaient pas été réparés depuis longtemps, ils étaient très endommagés car le flot de passants ne s’arrête jamais. Il fallait que les autorités interviennent», ajoute M. Tsvetkov. Iana Chernichenko passe près de huit heures par jour dans sa petite boutique de linge. La rénovation du souterrain d’Oulitsa 1905 lui a permis «d’avoir de plus grandes vitrines, plus pratique pour les consommateurs», dit-elle.
Mais tous ne sont pas satisfaits : à Smolenskaïa, dans l’un des immenses souterrains, la moitié des boutiques sont désormais vides, au désespoir d’Anna L., vendeuse. «Beaucoup des vendeuses étaient mes amies, mais elles sont parties», se désole Anna, tout en reconnaissant qu’auparavant, les vendeurs étaient «au contraire trop nombreux».
«Raser le vieux monde»
Les passages piétons souterrains de Moscou ont fait peau neuve pour devenir des mini-centres commerciaux. |
Cette désertion de certains souterrains s’explique par la reprise en main effectuée par la mairie sur les kiosques: aucun vendeur n’avait de certificat de propriété officiel.
En mettant les boutiques aux enchères, la ville a pu obtenir un loyer en moyenne huit fois plus élevé que celui que payaient officieusement les vendeurs à leurs illégitimes propriétaires. «Il y avait un vrai manque à gagner pour la ville», dit M. Tsvetkov.
De nombreux anciens «propriétaires» n’ont pas pu participer aux enchères : les procédures étaient «incompréhensibles», dénonce la députée municipale Olga Kossets, présidente de l’Association des «hommes d’affaires» qui se consacre à la protection des petites et moyennes entreprises moscovites. Et certains lots, dont le loyer a été fixé très haut en raison de leur localisation centrale, n’ont pas trouvé preneur.
«Il y a des gens qui travaillaient là depuis 20 ans, qui ont 45-50 ans et qui d’un coup n’ont plus de boutique car c’est trop cher ou compliqué», souligne Mme Kossets. «Que vont-ils devenir ?»
«C’est comme ça depuis (la révolution bolchévique de) 1917 dans notre pays : on rase le vieux monde pour en reconstruire un nouveau. Et bien sûr, c’est très désagréable», juge Mme Kossets, furieuse.
Elle reconnaît que la mairie a réussi à «mettre un peu d’ordre dans le chaos des souterrains», mais estime que le consommateur ne gagne pas au change pour autant. «Le prix des produits de base a augmenté. On a détruit tous les kiosques, il n’y a donc plus de concurrence : le consommateur ne peut plus acheter une bouteille d’eau en passant», regrette-t-elle.
Avec inquiétude, Olga Kossets observe les boutiques vides. «J’ai très peur que les grosses chaînes d’alimentation ne s’emparent de nos souterrains», confie-t-elle. «Moscou perdra alors un peu de son âme».
AFP/VNA/CVN