Après l’école, les enfants continuent de se réunir pour leurs propres jeux préférés |
Photo: Linh Thao/CVN |
"Mais qu’est-ce qu’il y a comme jeunes ici?". Exclamation redondante de nombreux amis européens plus habitués à croiser dans leurs rues des dos courbés par le poids du passé, que des bustes hauts et droits vers l’avenir. Pour moi qui vis au Vietnam depuis plusieurs années, cette jeunesse qui vibrionne autour de moi me ravit en permanence. Bouffée d’oxygène et d’espérance, mais aussi source d’amusement à voir garçons et filles réinventer le monde comme nous le fîmes à leur âge.
Joies d’enfants
La porte s’ouvre en coup de vent. Des rires fusent. Des bouilles aux yeux pétillants apparaissent dans l’ouverture. Ma fille, à peine rentrée de l’école avec ses amies, vient saluer son papa. Allons, il va fallait cesser ces activités d’adulte que l’on dit sérieuses pour se consacrer à ces activités d’enfants que l’on dit ludiques.
Pendant une heure ou deux, je vais devoir imiter le cri de tous les animaux de la création, y compris la carpe, servir de monture à quatre et deux pattes, me coller de la pâte à modeler sur tous les doigts, et dessiner des milliers de papillons à colorier pour la joie d’une troupe d’enfants dont l’âge additionné n’atteint même pas le mien. Et si par malheur, je décide de sortir la pâte à crêpes, c’est alors du délire qui s’empare d’une dizaine de ventre avides de gourmandise.
Aussitôt les petits vont chercher les grandes sœurs, les plus grands arrachent leur em gái (petite sœur) ou em trai (petit frère) des bras de leurs mamans. Et, selon le principe des vases communicants, alors que l’école est vide, ma maison déborde de vie et de hurlements de plaisir. La jeunesse, ça commence comme ça au Vietnam: par tous ces enfants qui jouent les uns chez les autres, courent dans la rue ou dans les chemins, se regroupent en joyeuses grappes de farceurs ou s’étirent le long des routes de campagne à l’heure de la sortie.
Pas un village, pas un quartier où ils ne transforment en terrain de jeu tout l’espace disponible, et alors qu’ailleurs, on leur réserve une part congrue, ici c’est plutôt l’adulte qui doit leur céder la place. Il n’est que de voir les soirées d’été où des envahisseurs, trottant comme des cabris, poussant balles et ballons, ou pédalant comme des fous, viennent prendre leur quartier sur la place Ba Dinh (Hanoï), tissant un lien entre hier et demain.
Dans ces moments-là, les adultes, vigies attentives, paraissent déplacés, dans cette marée puérile qui déferle en vagues de cris et de rires au pied du vénérable mausolée. Comme dans tout pays, la jeunesse, c’est la force qui donne de l’élan pour l’avenir, et il faut compter avec elle.
Jeux d’ados
Ils se donnent un air de faux-durs, sous des colorations capillaires improbables. Déam-bulant par petits groupes avec une nonchalance étudiée, ou blottis les uns contre les autres pour s’échanger des confidences inconnues des adultes, ils sont comme tous les ados du monde: fiers et fragiles. Ceux que je connais me saluent d’un vigoureux "Chào chú!" (Bonjour monsieur!) quand je passe vers eux.
Deux jeunes Vietnamiens flânant le long des rues. |
Si je m’arrête pour m’enquérir de leurs occupations, ils échangent des regards entre eux, se sourient avant de me sourire, et leur porte-parole m’accorde la réponse que je dois avoir, approuvé par des hochements de tête ou des petits rires. Je leur souhaite une bonne journée et leurs rires flottent longtemps derrière moi, comme pour me livrer un peu de leur jeunesse. Je les rencontre aussi en longs cortèges aux uniformes de lycéens ou de collégiens. En théories de vélos, ils se faufilent entre les voitures, frôlant les pare-chocs, se rattrapant de justesse entre deux bavardages avec leurs voisins.
Sans doute devenu trop Vietnamien, je ne m’étonne plus de voir deux sur le même vélo: l’un tenant le guidon, l’autre assis derrière et pédalant. Pour eux, le mot "ensemble" n’est pas juste du vocabulaire. Et puis, il a ceux que je croise aux carrefours des villes. Habillés de bleu, foulard rouge au cou, à l’âge de tous les plaisirs, ils montrent leur engagement civique en réglant la circulation lorsque les feux de signalisation sont défaillants, ou aident les enfants à traverser la rue à la sortie des écoles. Ils ont ce regard sérieux de ceux conscients de l’importance de la tâche qui leur est confiée.
Ce même regard qui pétillera des milles feux de la joie de vivre. Quand leur mission achevée, ils se retrouveront pour manger une crème glacée avec les copains. Qu’ils foncent sur leurs motos, qu’ils flânent le long des rues, qu’ils s’envoient lestement volant de badminton ou ballon de volley, qu’ils s’extasient devant les magasins de téléphonie, les ados sont comme une mer sans cesse en mouvement. Solidaires et indépendants, hâbleurs et timides, téméraires et prudents, ils donnent à ce pays, cet air de jeunesse qui étonne tellement les visiteurs.
Et même si comme le disent les Vietnamiens: "Le passé ouvre les voies de l’avenir", l’avenir a encore de beaux jours au Vietnam avec toute cette jeunesse.
Gérard Bonnafont/CVN