Rubis sur l’ongle

Gastronomie ou artisanat, un clic suffit pour découvrir sur grand ou petit écran les spécialités du Vietnam. Et pourtant, mon petit doigt me dit qu’il y en a une encore peu connue du grand public.

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Des doigts de fée: une spécialité vietnamienne.

C’est un des premiers jouets du bébé que l’on agite devant ses yeux étonnés pour qu’il nous fasse des risettes. Elle se cache dans la poche quand il s’agit de masquer son tremblement. Elle est tout autant objet de convivialité quand on se la serre, qu’objet de manifestation de violent désaccord quand on se la prend… dans la figure ou ailleurs.

Et comme on ne s’en sépare jamais, sauf accident, on peut comprendre que la main est un organe que l’on affectionne particulièrement. Mais, son intérêt serait bien mince si elle n’était pas prolongée par ce qui est très utile pour apprendre à compter et, pour certains, à compter tout court: les doigts.

Aucune partie du corps humain n’est aussi maltraitée que ces extrémités articulées. Sans vergogne, ils sont mâchouillés, écrasés, tordus, et subissent tant d’avanies qu’on ne peut qu’être admiratif de les voir aussi longtemps en état de fonctionnement.

Certes, parfois, ils se rebiffent, becs et ongles. Encore que ces derniers ne soient guère mieux lotis: rongés, brisés, cassés, et même si incarnés, ils peuvent se venger, ils méritent mieux que ça. Les Vietnamiens l’ont compris depuis longtemps.

Tout en longueur

Une des premières questions qui viennent à un esprit occidental, tant soit peu observateur de la vie vietnamienne, est: "Mais pourquoi les hommes ont-ils l’ongle du petit doigt et du pouce aussi long?".

Il est vrai que du côté des berges de la Seine, il est d’usage plus courant que ce soient les ongles féminins qui s’épanouissent comme griffes félines. Les hommes les préfèrent plutôt courts, sauf ceux qui les ont crochus. Cette dernière caractéristique n’étant pas réservée à l’Occident.

Au Vietnam, l’ongle masculin s’affiche, ou plutôt certains ongles. Peu habitués à se rencontrer dans la vie quotidienne, l’auriculaire et le pouce rivalisent de kératinisation pour exhiber des ergots effilés d’un à deux centimètres. D’aucuns affirment que ce prolongement corné serait bien pratique pour se curer les oreilles. Admettons-le pour l’auriculaire qui, comme son nom l’indique, a quelques affinités avec cet organe acoustique.

Mais le pouce? Le plus fort des doigts, le plus habitué à s’opposer aux autres, le plus laborieux, celui sans qui la fameuse pince préhensible, qui nous est si utile dans la vie de tous les jours, ne saurait être. Et c’est justement à cause de sa réputation que le pouce de certains Vietnamiens s’enorgueillit d’un superbe appendice unguéal.

Un pouce de manuel, ça s’abîme, ça s’use au fil des années, ça se fissure, et surtout ça ne peut pas supporter un ongle long. Ni l’auriculaire non plus, d’ailleurs! Trop de risques de cassure, d’arrachement et autres outrages…

Par contre, quand on se les roule (les pouces), on peut se permettre d’avoir des ongles longs, signe d’une oisiveté de rentier ou d’une activité essentiellement intellectuelle, qui nous met bien au-dessus du commun de la plèbe. L’ongle long, comme le chien de race, la belle voiture, le téléphone portable dernier cri, c’est un élément de statut social. Quand on évoque une marque connue et réputée, on parle de griffe. Le Vietnamien l’applique au sens propre!

La main devient une star.

 

Plus haut, j’ai fait allusion à cette façon que les enfants ont de compter sur leurs doigts, en énumérant la suite des chiffres. Dix doigts, c’est pratique pour compter selon le système décimal. Deux mains, et on change de dizaine. Suffit de ne pas se mélanger les doigts.

Mais le Vietnamien, dans son ingéniosité, optimise cette calculette digitale en comptant… sur ses phalanges. Essayez, 5 doigts, 14 phalanges, 10 doigts et on atteint le nombre 28! Certes, les esprits chagrins diront que ça ne fait pas un compte rond, comme pourrait l’être 30. Mais 28, c’est quand même pile poil, 4 semaines.

Tout en couleur

Maintenant, sous peine d’être mis à l’index, il est temps de se préoccuper de cette spécialité vietnamienne que j’évoque au début de cette tranche de vie: la décoration sur ongle. Pour cela, je n’ai pas à vous entraîner trop loin. Pas une rue qui n’ait son petit salon de manucure, qui affiche en façade la carte des soins pour ongle en recherche de rénovation ou de décoration.

Lieu réservé à la gent féminine, en général, je m’y étais égaré, par curiosité, en accompagnant mon épouse et ma fille. Chaussures déposées sur le seuil, on me cantonne clairement dans mon rôle d’observateur, en m’installant sur un tabouret, tandis que le reste de la famille a droit à de confortables fauteuils en similicuir. Au mûr, des étagères de centaines de petits flacons de vernis colorés me rappellent étrangement les nuanciers utilisés en imprimerie. C’est une explosion d’arc-en-ciel, une myriade de teintes, dont je peine à nommer certaines.

Les jeunes femmes qui officient sont assises sur des sièges bas, au pied de clientes qui leur confient nonchalamment leurs mains. À côté des fauteuils, des petites tables qui supportent une tasse de thé parfumé.  Pendant une heure, hydratée, massée, sublimée, la main devient une star. Puis, c’est le tour de l’ongle. Limé, poli, cuticules retirées, huilé, il est préparé comme une toile destinée à devenir un tableau de maître.

Et, c’est bien d’art dont il s’agit. Strass, paillettes, piercing, stickers... L’artiste manucure puise dans des récipients au gré du désir de sa cliente. Elle colle, assemble, incruste, à petits coups de pinceaux, elle transforme l’ongle en bijou. La dextérité dont elle fait preuve est déjà étonnante en soi, mais le plus surprenant est que toute cette alchimie se déroule dans un pépiement de bavardages. Tout le monde s’interpelle, les rires éclatent, les blagues fusent.

Mon statut de mâle et d’étranger me vaut d’être le centre d’intérêt pendant quelques minutes, puis des sujets plus féminins me relèguent dans mon coin. Enfin, mon épouse et ma fille quittent leur fauteuil. La première a opté pour des ongles multicolores, la seconde pour un dessin de papillon butinant une fleur sur chaque ongle. Un feu d’artifice au bout des doigts.

Attention, si vous y mettez le doigt, vous ne pourrez plus vous en passer!

Gérard Bonnafont/CVN

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