Compter sur soi ou sur les autres ?

Nombreux sont ceux qui s’étonnent de la manière dont circulent les motocyclistes au Vietnam. Pourtant, tous ces pilotes, pour le moins audacieux, doivent être titulaires d’un permis de conduire. Mais entre qualification et compétences, il y a parfois une marge avec laquelle il faut compter !

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Au Vietnam comme ailleurs, il existe un certain nombre d’obligations pour qui veut utiliser un moyen de transport. Pour l’avion, le bateau ou le train, l’achat d’un billet est vivement recommandé. Pour la voiture ou le cyclomoteur, la détention d’un permis vietnamien autorisant à être conducteur d’un ou de deux de ces engins est absolument obligatoire, sous peine de se voir confisquer le véhicule et devoir payer une forte amende, en cas de contrôle des autorités compétentes, ou de ne pas être pris en charge par son assurance bien aimée, en cas d’incidents ou d’accidents. Bref, pour conduire un engin motorisé, il vaut mieux être en règle avec la loi.

Fort de cette règle, un ami à moi a décidé de passer son permis de conduire un cyclomoteur au Vietnam. Après avoir passé avec succès l’épreuve de Code de la route, il s’est présenté à l’épreuve de conduite et de maniabilité. Il s’agissait d’effectuer un parcours en forme de 8, à différentes vitesses, sans poser le pied à terre. Fort de quoi, il pouvait entrer en possession du fameux document qui l’absolvait de toute accusation de hors-la-loi en moto ! Et c’est en pensant à cette épreuve de maniabilité que m’est venue l’idée de soumettre d’autres figures à la dextérité des postulants au permis de conduire.

Suite logique

En effet, la logique voudrait que le jour de l’examen de conduite pour obtenir un permis soit l’occasion de vérifier les capacités du candidat à maîtriser le véhicule dans les situations les plus fréquentes qu’il pourrait rencontrer dans l’exercice de sa conduite. Or, je constate que bien d’autres figures que le 8 me sont utiles au quotidien, et que la maîtrise de la suite numérique de 0 à 9 m’a bien souvent sorti d’un mauvais tour de roue.

Tout d’abord, le plus facile : le 0, qui me permet de faire deux ou trois fois le tour d’un rond-point quand je ne connais pas la route et que rien n’est indiqué pour que je me repère. Quand, après plusieurs tours de réflexion, je choisis de m’engouffrer dans la voie qui me semble devoir m’amener à bon port, il me suffit d’effectuer la figure suivante : ơ, typiquement vietnamienne.

La conduite à Hanoi exige une grande vigilance de chacun.
Photo : Truong Trân/CVN

Le 1, quant à lui, est une figure de plus en plus fréquente à Hanoi. Elle a droit de cité, quand la cité ne me donne plus le droit d’emprunter la rue que je fréquente assidûment, parce qu’un comminatoire panneau de sens interdit m’intime l’ordre de faire demi-tour, alors même que le passage était libre la veille au soir. La rage de travaux qui sévit actuellement dans la ville modifie tellement vite le plan de circulation que la maîtrise du 1, associée à l’interjection d’étonnement interrogatif «Hein ?», est devenue indispensable, sous peine de devoir prendre son mal en patience, en attendant que le sens de circulation soit modifié le lendemain.

Le 2 est l’une des figures stars pour franchir un carrefour. En effet, comme la pratique est de ne jamais s’arrêter pour laisser passer l’autre véhicule (sauf s’il est vraiment plus gros que le sien), on le contourne. Ainsi, si mon partenaire de route vient de ma droite, et si je juge que ma vitesse ne me permettra pas de lui passer sous le nez, je le contourne par l’arrière, en virant sur ma droite, puis en revenant par une demi boucle gracieuse sur la gauche vers ma direction initiale. J’ai alors effectué un admirable 2.

Mais, il se peut qu’après avoir contourné cet obstacle, un second surgisse, toujours sur ma droite, que je sois amené à éviter de la même façon. Dans ce cas, je poursuis ma suite numérique en réalisant un magistral 3, avant de me retrouver de l’autre côté du carrefour.

Ça va ? Vous ne m’avez pas perdu de vue ? Pour ceux qui ont quelques difficultés avec la représentation spatiale, il est conseillé de se munir d’un papier et d’un crayon pour suivre les figures suivantes…

Calcul prudent

Le 4 est la figure qui combine deux possibilités : la surprise du sens interdit inopiné avec la recherche d’une voie de contournement qui me permettra quand même d’aller là où je veux ou bien la surprise du même sens interdit, mais assorti d’une amertume désabusée qui me conduit à revenir là d’où je viens. Question d’humeur du jour ! Dans le premier cas, j’accomplis 1 latéral à l’envers, avant de terminer mon 4 en filant droit devant moi, plein d’optimisme. Dans le second cas, je l’effectue verticalement, avant de le transformer en 4, en retournant tout droit chez moi, plein de fatalisme.

Le 5 est une figure fort utile lorsque après un croisement, il faut prendre immédiatement une route à sa droite. Elle s’effectue selon le principe désormais immuable du contournement par l’arrière, avant de regagner sa direction initiale pour virer ensuite sur la droite, avant qu’un autre conducteur ne s’immisce sur notre droite, nous obligeant à réaliser un somptueux §.

Le 6 ou le 9 sont deux figures jumelles inversées indispensables quand, après un croisement, on arrive sur un embouteillage que l’on veut éviter en se détournant par des chemins de traverse sur la droite ou la gauche. Ou bien lorsque je veux rentrer ma moto dans la cour de ma nouvelle maison, et que mon voisin a choisi de garer sa voiture juste en face, m’obligeant ainsi à aller faire demi-tour au fond de ma ruelle pour rentrer chez moi en virant à gauche, alors que j’aurais pu dessiner un C parfait pour rentrer dans ma demeure. Un peu compliqué cette explication ? Venez chez moi, quand le voisin est chez lui, vous comprendrez aisément mon intérêt pour le 9.

Le 7 est un cousin du 1, avec la même utilité. C’est seulement l’axe de la route qui est modifié ! Donc, je ne m’attarderai pas dessus.

Pour être complet, je ne veux pas clore cette chronique sans évoquer, au-delà de cette numérologie vicinale, deux figures indispensables à la survie sur route.

D’abord le S qui, outre sa place prépondérante dans les mots «surprise», «secours», «sain et sauf», permet d’éviter ceux qui viennent brusquement de droite ou de gauche, ceux qui viennent de face en doublant en quatrième position, ceux qui viennent de face dans un sens unique, ceux qui déboîtent ou changent brusquement de direction devant vous, ceux qui décident de s’arrêter sans prévenir, et tout ce qui fait qu’il faut toujours se méfier d’une route déserte ici : tout peut arriver !

Et enfin, la figure que j’utilise le plus au quotidien : @. Ne cherchez pas à comprendre quand et comment ! Sachez simplement que face aux aléas de la circulation, c’est celle qui me permet de rentrer intact chez moi chaque soir !

Une dernière chose : autant je suis un ardent partisan de la maîtrise de toutes ces figures par les motocyclistes, autant je supplie les automobilistes d’abandonner la pratique de ces mêmes figures dans leur conduite quotidienne. Parce que ça commence à me fatiguer, figurez-vous !

Gérard BONNAFONT/CVN

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