Chasse printanière, une vieille coutume villageoise des Thai

La chasse tenue à l’approche du Têt est une pratique ancestrale chez les montagnards d’ethnie Thai. Une coutume impraticable aujourd’hui, dans le contexte de protection des ressources forestières. Seuls les souvenirs demeurent.

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À Cành Nàng, les villageois sont de bons tireurs à l’arbalète.
Photo : Lê Quân/CVN

À l’approche du Têt, il fait bien froid dans la région montagneuse de la province de Thanh Hoa (Centre).  Dans le village de Cành Nàng, du district de Ba Thuoc, les familles d’ethnie Thai s’activent pour les préparatifs du Nouvel An lunaire. Une arbalète en main, Hà Van Thành se rend dans  la "basse-cour" de sa famille, située à flanc d’une colline.

"Chez nous, on engraisse les cochons et les volailles dans des jardins à flanc de colline. Pour les attraper, il faut souvent recourir à l’arbalète", confie-t-il. L’apparition des hommes dans cette basse-cour naturelle provoque un certain trouble chez les poulets qui se réfugient à grandes enjambées dans les buissons. "Regardez ce coq au plumage pourpré ! Je vais lui tirer sur l’aile, ainsi il ne mourra pas directement, et sa chair en sera meilleure", explique Thành. Une flèche est décochée. Le coq pousse un gloussement et tombe sur le sol dans un froissement de plumes.

Le tir à l’arbalète, Thành l’a appris de son grand-père Hà Van Nênh, 70 ans. Plus d’une fois, ce jeune tireur a décroché la médaille d’or lors des concours de la région. À midi, le vieux Hà Van Nênh rentre à la maison avec un sac plein de rats de montagne, d’écureuils et de lapins capturés avec les pièges qu’il a posés dans la forêt ou à l’aide de son arbalète. Les repas du Têt des Thai sont copieux, c’est peu dire...

Une chasse villageoise extraordinaire

Des coqs sauvages domptés par les Thai.
Photo : CTV/CVN
Photo : CTV/CVN

"Depuis toujours, les montagnards excellent dans la chasse au gibier. Autrefois c’était pour défendre leurs cultures et leurs basses-cours contre les animaux sauvages. Maintenant, ces derniers se raréfient et nous sommes conscients de leur sauvegarde. Nous nous abstenons donc de les chasser. Pourtant, les hommes Thai n’oublient pas de s’entraîner au tir à l’arbalète qu’ils considèrent comme un trait culturel spécifique de leur ethnie", exprime le septuagénaire. Avant de préciser qu’un concours d’ar-balète est organisé au 5e jour du Têt dans cette région montagneuse, attirant des hommes de diverses ethnies.

Enthousiasmé, Hà Van Nênh se rappelle le temps où il était jeune : "Comme d’autres villages Thai et Muong à Thanh Hoa, Cành Nàng organisait annuellement une fête de la chasse, souvent vers la fin de l’année, avec la participation de presque tous les villageois. Un véritable plan d’attaque était alors élaboré".

Une forêt était choisie à l’avance, et personne n’avait le droit de s’en approcher. Le jour J, à l’aube, tout le monde se présentait. Aux alentours de la forêt, les habitants - notamment les femmes et les enfants - faisaient sonner gongs, tambours, mais aussi marmites et casseroles… afin de repousser les animaux sauvages - tigres, panthères, cervidés, lapins… - vers le lieu où ils seraient embusqués par un groupe de chasseurs équipés d’arbalètes, de lances et de piques...

"Les animaux étaient abattus sur place. Leur viande était partagée entre tous, selon les critères précis de la loi coutumière du village. La journée se terminait par un festin communautaire joyeux célébrant la réussite de la chasse. Toutes les familles Thai rentraient avec leur butin pour fêter le Têt", explique Hà Van Nênh.

Et d’ajouter que si les villageois fêtaient autrefois le Têt avec du gibier, aujourd’hui ils le font avec des animaux domestiques. "De toute façon, notre vie s’améliore de plus en plus, tant matériellement que spirituellement. Nous dépendons moins de la forêt qu’autrefois", affirme-t-il, satisfait. À noter que cette ancienne fête de la chasse des Thai et des Muong a été dépeinte dans le livre Le Thanh Hoa rédigé en 1929 par Charles Robequain, membre de l’École française d’Êxtrême-Orient à Hanoï.

Les animaux se réjouissent aussi

Un chasseur de rats de montagne.
Photo : Lê Quân/CVN

Chez les Thai, les préparatifs de la fête du Têt commencent d’habitude une semaine avant les célébrations. La veille de la fête de la chasse (qui se déroule d’ordinaire le 25e jour du 12e mois lunaire), on procède à la fête de la pêche. Au petit matin du 24e jour du 12e mois lunaire, les villageois se réunissent pour une "pêche gardée" qu’ils ont arrangée deux mois auparavant. Une rivière ou un ruisseau près du village a été barré avec des rochers et des bambous, créant un espace où poissons et crevettes se concentrent. Cette journée de pêche constitue elle aussi une festivité joyeuse. Et les prises sont partagées entre tous.

"Il y a une coutume ancestrale inédite des Thai que peu de gens connaissent, c’est de réserver pour les animaux, même les bêtes sauvages, un espace de temps paisible pour +fêter le Têt+", selon Hà Van Nênh. Pour lui, les bêtes ont  elles aussi "le droit de vivre en toute tranquillité pendant ces festivités". Les buffles doivent être les premiers à bénéficier de ce traitement de faveur. À partir du 26e jour du 12e mois lunaire, ils cessent le travail au champ, peuvent prendre un bain avec de l’eau tiède mêlée d’alcool, manger des épis de riz au lieu de la paille et être l’objet des louanges du sorcier du village…

La période de bonheur des animaux sauvages dure une semaine, du 29e jour du 12e mois de l’année ancienne au 6e jour du 1er mois de la nouvelle. Les villageois ne doivent plus chasser, ils doivent même avoir retiré leurs pièges posés en forêt. "Chasser mais pas anéantir. Les animaux et les plantes sont dignes d’être respectés, et ont eux-aussi le droit de se reproduire en liberté. C’est la conception ancestrale sur +les êtres et les choses de l’univers+ que les Thai prennent toujours en haute estime", conclut avec un brin d’orgueil le septuagénaire Hà Van Nênh.

 Nghia Dàn/CVN    

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