Le «grille-pain qui marche» de Toshiba. Photo : AFP/VNA/CVN |
Kenichi Masuda, un Japonais de 49 ans, s’est amusé à collectionner toutes ces bizarreries des années 1950-1960. Il en a fait une petite exposition délicieusement rétro d’une centaine d’objets insolites, à Tokyo.
Dans ce musée du baroque industriel où la loufoquerie kitsch le dispute au sérieux, on trouve par exemple un ventilateur à deux étages, baptisé «paire silencieuse», pas silencieux du tout, ou un autre ventilateur qui se voulait élégant en forme de piano à queue de concert et ne soufflait qu’un mince filet d’air anémique.
Les compagnies ont vite senti le filon : Panasonic a ainsi mis sur le marché un réchaud à gaz en forme de télévision, et ce fut le plus cher de sa gamme pendant 30 ans.
Sharp vendait de son côté une banale radio mais «customisée» en poste de télévision, et qui coûtait un peu plus que le salaire mensuel moyen de l’époque.
«On devait vite s’en lasser. Et je pense que le type qui achetait ça devait se faire enguirlander par sa femme», s’amuse Kenichi Masuda, un ancien conducteur de trains.
Il faut dire que vers le milieu des années 1950, un vrai téléviseur coûtait l’équivalent de huit mois de salaire pour un jeune qui démarrait.
On ne parle même pas des inabordables premières «télés couleur». Alors, une compagnie a proposé à ses clients de mettre devant l’écran de leur poste noir et blanc une sorte de feuille en plastique colorée! «Avant d’être en pointe, le Japon était plutôt ringard», explique Kenichi Masuda.
Une bonne bière sortie d’un vieux frigo
Les objets dans les vitrines de son exposition en attestent, comme ce hideux téléphone-jumeaux : deux appareils avec deux cadrans, collés dos à dos comme des siamois, mais avec un seul combiné... Son utilité reste à démontrer quelques décennies plus tard. Mais ces objets témoignent aussi des tâtonnements industriels d’un Japon promis à un grand avenir.
Un ventilateur en forme de piano à queue |
«Est-ce que tout cela avait un sens? Assurément non, mais ça prouve à quel point les gens étaient prêts à tout pour avoir une télévision», même fausse, dit M. Masuda.
Depuis 30 ans, il a dépensé environ 20 millions de yens (près de 200.000 euros) pour amasser près de 2.000 objets, autant de fragments de la mémoire industrielle japonaise.
Les entreprises de l’époque avaient une bonne dose du courage pour mettre sur le marché ces objets finalement inutiles, alors que parallèlement le Japon étonnait le monde avec son Shinkansen (le TGV japonais), vitrine «high tech» du pays au moment des Jeux olympiques de 1964 à Tokyo.
«À l’époque les entreprises japonaises osaient, fonçaient, elles n’avaient pas peur de l’échec», poursuit M. Masuda. «Mais en grossissant, elles sont devenues attentives au marketing, au profit et à la rentabilité. Peut-être sont-elles devenues plus lentes.»
Et de rappeler que dès le lancement en octobre 1957 du mondialement célèbre Spoutnik, le premier satellite artificiel, un industriel japonais avait commercialisé une petite machine à laver manuelle en forme de Spoutnik. Avec une manivelle en plus!
Toshiba proposait aussi son «grille-pain qui marche»: on introduisait la tartine sur un côté, elle avançait dans l’appareil et ressortait de l’autre pour tomber dans l’assiette. Flop total. La même compagnie avait conçu le fameux «Snack 3» qui vous faisait en même temps du lait chaud, un toast, et un œuf sur le plat. Re-flop.
«Les cuisines japonaises étaient trop petites pour tous ces appareils deux fois plus gros que les modèles habituels. Les gens ont rêvé un moment du petit déjeuner à l’occidentale, mais ils s’en sont vite lassés», estime M. Masuda.
L’exposition a duré six semaines et a attiré 10.000 personnes, un record pour un événement quasi dépourvu de publicité.
«J’ai les larmes aux yeux de revoir tous ces objets», confie Yasuyuki Iida, un retraité de 62 ans, le nez collé aux vitrines. «Avant on pouvait réparer les appareils, c’est fini tout ça. Pas étonnant qu’on croule sous les ordures», dit-il.
Un brin rétro lui aussi, Kenichi Masuda juge que les produits high-tech d’aujourd’hui «n’ont pas cette bonne odeur du temps».
Son grand plaisir ? Boire une bière bien fraîche qui sort d’un vieux frigo, en regardant une vieille émission sur une vieille télé. Même si ça consomme plus d’électricité.
AFP/VNA/CVN