>>S’il te plaît, dessine-moi un Pho !
Allez en route ! |
Vagues à l'âme
Quelque 180 km, trois heures de route, en quittant Hanoï par le pont Chuong Duong avec vue imprenable sur le pont Long Biên (ancien pont Paul Doumer construit par Gustave Eiffel en 1902), on emprunte la Nationale 5, la plus ancienne du Vietnam, qui conduit jusqu’à la ville portuaire de Hai Phong (Nord), à travers un paysage alternant les rizières ancestrales et les zones industrielles ultra-modernes.
«Dis papa ! C'est quand la campagne ?» Tu as raison ma fille, Hanoï devient véritablement chaque jour de plus en plus grande. Pour une millénaire, elle fait preuve d'une énergie redoutable. La dernière partie du voyage s’effectue le long de la côte de la Mer Orientale, avec en toile de fond à l’horizon les fameux îlots en «pain de sucre» qui préfigurent la légendaire baie de Ha Long, dans la province de Quang Ninh (Nord).
Arrivée à l’embarcadère de Ha Long, et embarquement sur une jonque aménagée, pour une croisière et une nuit dans la baie. Une petite baignade sur une île déserte, une petite balade en kayak de mer, un repas aux chandelles sous les étoiles, et hop ! Tout le monde au lit, moustiques compris.
De monts en vaux
Après le petit déjeuner sur la jonque, arrivée au débarcadère de Câm Pha (province de Quang Ninh), à 28 km au nord de Ha Long. Et on reprend la voiture pour six heures de route vers la province de Lang Son (Nord). Après avoir quitté la côte, la route s'engage dans la région montagneuse et vallonnée du Nord-Est, couverte de forêts où vivent tigres, panthères, ours et pangolins. Du moins, c'est ce qu'on dit. Mais malgré toutes les incantations incessantes de ma fille, je n'ai pas réussi à lui montrer un seul de ces charmants animaux. Tant pis, ça fait toujours plaisir de penser que nous avons frôlé la rencontre avec «Oncle Tigre».
La baie de Ha Long (province de Quang Ninh, Nord) offre une vue merveilleuse. |
Photo : VNA/CVN |
De temps à autre, au détour d'une vallée ou au sommet d'un col, au milieu de plantations de tabac, café ou thé, un village habité par l'une ou l'autre des minorités ethniques qui peuplent cette région : Tày, Nùng, Dzao, H’Mông, Hoa et bien sûr Kinh, l'ethnie de la majorité des Vietnamiens. Après une découverte des spécialités locales : le phở chua (soupe de nouilles à l’aigre légère) ou le vịt quay (canard rôti), lợn quay (cochonnet rôti), bonne nuit à l'hôtel. La route a été longue.
Tripes à l'air
Pas le temps de souffler, ce matin, direction la province de Cao Bang (Nord). Comme Lang Son, Cao Bang a souffert des péripéties de l'histoire, mais son cadre est magnifique, au pied d'un rideau de falaises blanches, au confluent de la rivière Hiên et du fleuve Bang Giang.
Du début de la journée à la fin de l'après-midi, des flots de vêtements qui déploient toutes les nuances de l'indigo côtoient des profusions de paniers emplis de légumes, de la camelote chinoise, des objets de culte... auxquels succèdent des marmites et braseros où mijotent galettes de riz, canard laqué et tripailles. Je laisse volontiers ces dernières aux estomacs de mes amis vietnamiens, à celle à la mode à Cao Bang, je préfère celles à la mode de Caen. Bon ! C'est pas tout ça, mais il est temps d’aller dormir.
Troc en stock
Après avoir abandonné rapidement les montagnes déboisées et les champs de maïs, la route étroite et sinueuse, côtoyé des buttes de terre rouge plantées de forêts de pins, on redescend vers la vallée au milieu d'une forêt tropicale luxuriante, puis serpente entre les maisons isolées des H’Mông et des Dzao, pour arriver enfin vers le bourg de Cho Ra (province de Bac Kan, Nord), dans l'univers de l'ethnie Tày. Ma fille n'en peu plus d'être émerveillée, et moi, je suis enroué à force de répondre à ses questions qui me parviennent en rafales. Ouf ! Voilà Cho Ra !
Cho Ra est un modeste village-rue, aux maisons basses construites en briques crues, et couvertes de tuiles grises. Les jours de marché, on trouve une profusion de produits artisanaux locaux, notamment des étoffes tissées et teintes. On y pratique encore le troc. Ce que je fais avec ma fille, en troquant une dernière histoire sur l'origine des ethnies minoritaires (une histoire d'œufs, de dragon et de déesse, que je vous raconterai un jour), contre une bonne nuit de sommeil.
Un coin du lac Ba Bê (province de Bac Kan, Nord). |
Une vraie perle
Ça, c'est le summum du voyage. Petit déjeuner à Cho Ra, puis embarquement en sampan, pour rejoindre le lac Ba Bê, en descendant la rivière Nang. Pendant deux heures de navigation, le sampan suit la rivière qui se faufile dans une campagne cultivée avant de pénétrer dans un paysage de falaises calcaires, au flanc desquelles s'accrochent des petits jardins sauvages, tâchés de cannas rouge sang, et marbrés de tronc grêles argentés.
Après la grotte-tunnel de Puông, on découvre un paysage sauvage, peuplé d'une centaine d'espèces de papillons et d'oiseaux, et de plusieurs sortes de batraciens et reptiles. Ma fille en trépigne de joie, nous évitons de peu chavirage et enfant «à la mer» avant d'arriver au débarcadère du lac Ba Bê. Ce lac ressemble à une petite mer intérieure, nichée au cœur de falaises calcaires, dotée de nombreuses grottes et de ruisseaux qui tantôt apparaissent, tantôt disparaissent de la vue.
Le soir, après une petite promenade à la lumière d'une lune bonasse qui semble veiller sur les grenouilles du lac comme un berger sur ses moutons, c'est la soirée dont ma fille me parlera encore dans mille ans. Installés en cercle autour du foyer d'une maison sur pilotis, nous écoutons pendant près de deux heures des légendes que les vieux du village racontent aux enfants depuis la nuit des temps. Et pendant qu'ils racontent, nous piquons deci-delà, dans les bols disposés devant nous, gourmandises sucrées et salées. Ma fille est aux anges, même si elle commence sa nuit sur mes genoux avant la fin de l'histoire.
Demain, je serai bon pour lui raconter comment est né le lac Ba Bê. À une autre fois, pour une autre escapade. Demandez le programme !
Gérard Bonnafont/CVN