Ça n’a pas de prix

Des autoroutes partent à la conquête des montagnes. D’immenses tours vont gratter le ciel. Les voitures envahissent les rues. Des marchés «super» remplacent des marchés traditionnels... Le Vietnam bouge à grande vitesse. Imperturbable, le marchandage reste !

Acheter des fruits et légumes, se faire confectionner des vêtements sur mesure, acheter des souvenirs…, il existe mille occasions de marchander dans la vie quotidienne. Pour moi, la notion même de marchandage me renvoyait à des pratiques obscures, des transactions troubles, proches de l’illégalité. Marchandage, ça sonnait comme tripotage, trifouillage, ergotage, et peut-être même arnaque. Ça, c’était avant !
Depuis, je me suis installé au Vietnam, et j’ai vécu ce que d’aucun pourrait appeler un bouleversement culturel, dont le moindre n’a pas été de découvrir que le marchandage pouvait être un art. Un art, qui met en scène deux artistes : le marchand et le marchandeur, qui se donne la réplique l’un et l’autre. Chacun connaissant parfaitement son rôle et celui de son interlocuteur. Mais si pour le marchand, marchander est une des premières qualités, n’est pas marchandeur qui veut. En place pour un petit cours de marchandage.
Beaucoup trop !
Pas envie d’attendre le bus pour rentrer, trop fatigué pour marcher ? Vous hélez un «xe-ôm». Vous savez, ces conducteurs de moto que vous êtes sensé enlacer (ôm) pour qu’il vous conduise adroitement au milieu des embarras urbains jusqu’à votre destination... Adresse indiquée. Sourire, accord, et vous voilà en selle derrière un conducteur qui a deviné le néophyte, donc subodore la bonne affaire ! Juste le temps d’admirer la vie animée de la ville, de répondre à quelques questions polies de votre partenaire de moto, et vous voilà arrivés...

L’art de se mettre d’accord sur le prix !


Suit l’inévitable phrase : «Merci, combien je vous dois ?». Et là, découverte de la technique de base de tout marchandage bien mené : «Tùy anh !» (Ce que vous voulez). Stupeur ! Votre programmation neuronale, qui s’attendait à un prix précis, que soit vous auriez trouvé trop cher, soit correct, soit encore en dessous de ce que vous pensiez, se trouve confrontée à une modification imprévue du procédé. Vite, se reprogrammer, supputer soi-même, dans ce pays encore inconnu, quel est le niveau de vie moyen, combien coûte un kilo de riz, quelle est la valeur moyenne du mètre carré, le prix de l’essence, à combien est l’inflation, plus encore quelques dizaines de paramètres économiques pour évaluer combien coûte la prestation que vous venez d’acheter.
En plus de tout cela, la machine à calculer du change se met en marche : 20.000 dôngs, c’est même pas un euro. Vous n’allez pas lui donner moins d’un euro, ce serait lui faire l’aumône. Bon sang, il vous regarde avec un sourire si franc, des yeux si limpides ; il a certainement une femme et des enfants qui comptent sur lui pour manger ! Allez hop, allons y pour 100.000 dôngs : ça fait moins de 5 euros, c’est pas cher ! Vous espérez que ça ne va pas le vexer... Le jour où vous apprenez que le tarif moyen de cette course est de 30.000 dôngs, vous avez compris une des règles fondamentales du marchandage : «T’as qu’à savoir avant d’acheter !».
Pas assez !

Grand marché ! Vous vous faufilez dans les allées entre les étals, à la recherche de souvenirs typiques que vos amis vous ont commandé, profitant de ce que vous êtes en balade de ce côté du monde. Vous tenez l’objet convoité… et en bouche la fameuse phrase qui doit permettre à la marchande de vous donner le prix à payer. Prix qui vous fait vaciller dans l’expectative ! Des gens bien intentionnés vous ont toujours dit que de tout façon le prix annoncé est souvent trop élevé, et que vous pouvez négocier à la baisse. Oui, mais quelle baisse ?
Est-ce que vous savez combien ça vaut honnêtement ce truc que vous avez en main ? Est-ce que vous savez, combien d’heures de travail il a fallu pour le fabriquer, combien coûte la matière première, les charges de personnel, le prix de location du stand sur le marché, les taxes à payer, la marge consentie ? C’est pas vous le comptable. Vous, vous êtes le marchandeur, celui qui veut acheter sans se faire rouler, et comme vous êtes d’un naturel honnête, sans rouler le marchand ! Alors, on fait quoi, maintenant ? Il y a bien la bonne vieille technique, utilisée par tous ceux qui s’imaginent plus malins que les autres et qui pensent avoir fait une bonne affaire en divisant le prix par deux, et en se disant que ça ne passera pas, mais qu’on pourra toujours gagner au moins 30%. Calcul mathématique qui ne prend en compte ni l’humeur de la commerçante, ni la réalité du coût de l’objet, ni la provenance réelle dudit objet.
Au passage, je conseille à tous ceux, étrangers au mode de marchandage hors des frontières européennes de bien peser ce dicton : «À malin, malin et demi !». En ce qui me concerne, je ne me fais pas d’illusion sur le bien fondé du prix que je négocie. Si la marchande me laisse partir à ce prix, c’est qu’elle fait une bonne affaire ! Normal après tout !
Il est vrai qu’en ce qui me concerne, je dispose d’une stratégie redoutable. Profitant de la présence de mon épouse à proximité, je vais seul tenter de faire l’achat, en proposant un prix «à la vietnamienne», sachant que l’étranger que je suis n’y aura pas droit. Je refuse donc d’acheter et rejoint mon épouse un peu plus loin, qui à son tour, va effectuer le même achat, et qui bien sûr obtient le prix local. Alors, mine de rien, au moment du règlement je m’approche et annonce souriant, à la commerçante, que c’est ma femme et que la prochaine fois il faudra qu’elle me fasse le même prix ! En général, après une seconde de stupeur la vendeuse éclate de rire, ce qui scelle entre nous les prix futurs !
Comment ça ? Vous voulez savoir si mon épouse est disponible pour vous accompagner lors de vos prochains achats ? Aide à marchandage..., ça se négocie !

Texte et photo : Gérard BONNAFONT/CVN

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