Tout en douceur

Il est commun de dire que la culture asiatique, en général, et la culture vietnamienne, en particulier, est une culture du respect : respect des traditions, respect des règles, respect de l’autre. Mais au quotidien, ça se vit comment ?

Les ethnologues, sociologues, anthro-pologues, et tout ce que la science peut compter de «logues», se sont souvent penchés au chevet de cette particularité en voie de disparition. Selon eux, le respect est une condition inhérente à la vie communautaire sédentaire, pour éviter une désagrégation totale du corps social. Donc acte !

La tempérance est une vertu cardinale, au Vietnam et ailleurs.
Photo : Truong Trân/CVN


Pour vivre ensemble, vivons aimables. Ce qui, vous en conviendrez, est un mantra plutôt sympathique. Même si, pour moi qui viens d’un pays latin où il est de bon ton de manifester ses émotions, il est parfois malaisé de distinguer entre marque de respect, donc d’intérêt, et marque d’indifférence, donc de désintérêt. Tout est dans l’art de décrypter la subtilité du contexte...

Restons calmes !

Bus surchargés, voisins encombrants, bruit infernal, chaleur épouvantable, coupures d’eau ou de courant, files d’attente incommensurables, embouteillages monstrueux… Ici comme ailleurs, la vie nous offre son lot de contraintes et d’embarras…
Dans pareilles situations, la plupart des Occidentaux bougonnent, ronchonnent, protestent, éructent, vocifèrent, vitupèrent, faisant augmenter leur tension à des niveaux qui enrichissent les cardiologues. Le monde entier est pris à partie et chacun s’empressent d’accuser «ils» d’incapacité notoire. Les remarques acerbes fusent, les critiques prennent de l’ampleur, la température monte jusqu’à en arriver à l’étape ultime : outrage à agent dans l’exercice de ses fonctions. Et ça y est, nous voilà dans le manque de respect !
Ici, rien de tout cela. S’énerver c’est perdre la face, et c’est «xúc pham» (offenser) son interlo-cuteur ! On s’installe dans la patience, en profitant souvent de ces moments de «perte» de temps. L’attente est longue ? Profitons en pour manger, c’est toujours ça de gagné ! L’inconfort est trop important ? Dormons pour oublier tous ces inconvénients ! Mon prochain m’ennuie ou me dérange par son comportement ? Faisons comme s’il était lointain et ignorons le !

Salle d'attente.


Si j’ai toujours quelques difficultés à appliquer ces principes élémentaires, ma femme et ma fille ne se privent pas, elles, d’en faire souvent la démonstration. Ce qui me vaut des réponses surréalistes aux légitimes questions que me posent les amis occidentaux qui viennent nous rendre visite. Ainsi, lorsque nous devons attendre un train qui n’est pas à l’heure, et que mon épouse nous propose de prendre un «pho» sur le pouce. «Elle a faim, ta femme ? Non, elle respecte les fonctionnaires !». Ou lorsque nous sommes entassés les uns contre les autres dans un bus bondé. «Elle a sommeil, ta femme ? Non, elle respecte la compagnie de bus !». Ou quand j’essaie de faire faire quelque chose qui déplaît à ma fille, et qu’elle m’ignore totalement. «Elle ne t’entend pas, ta fille ? Non, elle me respecte !»… Ça à de quoi laisser coi !

Restons dignes !

J’entends souvent cette remarque d’amis vietnamiens. «Vous êtes drôle, vous les Occidentaux ! Vous dites que vous vous embrassez, pour vous dire bonjour, mais vous frottez simplement vos joues l’une contre l’autre, et vous faites un bruit avec votre bouche, en mimant un baiser !». Et ils ont raison. Nos marques d’affection, occidentales, sont souvent des simulacres qui servent plus à donner l’apparence, qu’à montrer véritablement que nous éprouvons quelque sentiment pour autrui. Larmes, cris, gestes, et autres embrassades sont tellement ostentatoires, qu’ils restent une façade derrière laquelle il peut ne rien y avoir : le vernis suffit ! Les Vietnamiens font fi de tout cela, et préfèrent être que paraître, du moins sur ce plan. Foin de léchouilles, gratouilles, papouilles et autres baisouilles, ici on se les garde pour l’intimité la plus totale. L’important, c’est ce que l’on pense et que l’autre doit comprendre. L’attitude peut être surprenante, voire déplaisante pour l’Occidental démonstratif, et c’est vrai que j’ai eu quelques difficultés à m’y soumettre…
Je me souviens de mes premières déambulations amoureuses avec celle qui partage ma vie. J’aurais eût tendance à lui enserrer la taille, la prendre par la main ou la tenir contre moi, un bras nonchalamment posé sur son épaule. Au demeurant, attitudes plutôt destinées à signifier l’acte de propriété du mâle qu’une réelle marque d’affection ! Mais à peine esquissai-je ce type de gestes, que ma future moitié se dégageait souplement pour me remettre en conformité avec la bienséance locale : on accompagne, mais on ne touche pas ! Bon gré, mal gré, j’ai dû apprendre à respecter cette règle proxémique vietnamienne, indissociable du respect.
Ici, tout se joue dans la subtilité, dans l’attention à l’autre, l’observation. D’ailleurs, pour-quoi n’ouvre-t-on jamais un cadeau devant le donateur ? Tout simplement pour que celui-ci n’ai pas à subir l’éventuel mensonge du «Oh ! Comme c’est beau !», alors que jamais on n’a reçu une chose aussi dénuée de bon goût ! C’est par la suite que l’on sait ce que le récipiendaire pense du cadeau…
Ainsi, je me souviens d’un bateau en bambou que j’avais acheté au dernier moment pour un anniversaire. Il me paraissait effectivement abominablement laid, mais pour rien au monde je ne voulais arriver les mains vides (c’eût été irrespectueux !) et par manque d’idée et de temps, je m’été arrêté auprès d’un vendeur de souvenirs et j’avais jeté mon dévolu sur cet objet apparemment invendable dont le commerçant s’était débarrassé avec soulagement et prix prohibitif ! Le cadeau fut offert, et comme d’habitude, pas ouvert ! Quelques semaines plus tard, je suis revenu chez cet ami, et c’est en utilisant les commodités que j’ai mesuré toute l’importance accordée à mon présent, entre le papier de toilette et les produits désinfectants. Le message était clair ! Pour autant jamais je n’ai fait de remarques, sauf à outrager notre amitié !
Calme et dignité : je comprends pourquoi j’aime ce pays !

Gérard BONNAFONT/CVN

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