>>Un photographe français au secours de la culture ethnique vietnamienne
>>Un photographe français inspiré par le Vietnam
Certes, j’ai vécu une belle histoire d’amour avec la capture d’image. C’était encore à l’époque de l’argentique, quand on pouvait en pincer pour un papier mat ou brillant et frémir à des mots comme révélateur, fixateur, agent mouillant, bain d’arrêt. En ce temps-là, on était foncièrement optimiste, utilisant le négatif pour faire du positif. On pouvait s’immerger dans un univers nimbé de rouge, pour écrire le monde en noir et blanc ou en couleurs.
La photographie se passait de main en main. Elle s’affichait sur les murs, se nichait en album. C’était le règne du boîtier aux objectifs interchangeables. J’en avais une pleine sacoche qui me sciait l’épaule, m’obligeant à des contorsions incessantes pour tirer de leurs logements, télé, grand angle, macro et autres accessoires destinés à transcender le réel.
Des touristes étrangers à Hôi An. |
Affaire d’amateur
Et puis, un jour, je suis arrivé au Vietnam. C’était la première rencontre, et ce fut le coup de foudre. Comme pour toute passion subite, j’ai croqué la pomme à pleines dents. De clics en clics, j’ai voulu avaler ce pays, le mettre en format 13 x 18, le fixer pour le posséder. Très vite, je me suis rendu compte que j’avais eu les yeux plus gros que le ventre, et que le plus sophistiqué des appareils ne pouvait pas créer l’artiste. J’ai donné ma sacoche à celui qui avait guidé mes premiers pas dans ce pays, et j’ai pris ma plume. Ainsi allégé, je pouvais utiliser les mots pour dessiner des images à partager. Aujourd’hui, mon calepin a remplacé le boîtier et je laisse à d’autres le soin d’écrire le monde avec des photos. D’autant qu’il en est qui sont de remarquables conteurs.
C’est à Hôi An (province de Quang Nam, Centre) que j’en ai rencontré un, parmi les meilleurs. Hôi An est une ville qui m’agace autant qu’elle me charme. Elle se sait belle, et comme toutes les coquettes, elle a des caprices de vieille cocotte. Sublime à la lueur de ses lanternes, elle a le commerce outrancier, trop insistant à mon goût. Accueillante aux visiteurs, elle en déborde jusqu’à n’en plus pouvoir. Il y a peu, la fenêtre de la chambre que je réserve dans une petite ville, lors de mes séjours, s’ouvrait sur un vaste jardin où palmiers et bananiers s’en donnaient à cœur joie. Au petit-déjeuner dans la cour ombragée, on pouvait admirer les barques glissant lentement sur la rivière Thu Bôn. Aujourd’hui, le jardin est devenu le chantier d’un futur hôtel 5 étoiles, et un mur de cars de touristes en manque de parking masque la vue sur la rivière.
Le photographe Réhahn Croquevielle. |
Photo : GB/CVN |
Ce matin, c’est donc avec un peu d’amertume que je trempe mes tartines beurrées dans mon thé en attendant l’heure de mon rendez-vous avec un poète de la photographie. Depuis longtemps déjà, je souhaitais faire sa connaissance, et j’avais profité de mon passage à Hôi An pour le contacter. Il m’avait invité à venir prendre un café au musée qu’il a créé, dans une vieille maison coloniale, là-bas, derrière le vieux marché. Quelques minutes d’attente devant les portes encore closes, et un grand gaillard à la barbe naissante vient me serrer la main. Nous étions faits pour nous rencontrer : lui les images et moi les mots. Deux façons de dire le Vietnam, ce pays que nous avons choisi et pour lequel nous partageons la même histoire d’amour.
Passion du vrai
Tandis qu’il me fait l’honneur de la visite, nous nous découvrons de nombreux points communs. Une passion qui nous conduit à sillonner le pays, du Nord au Sud, à la rencontre des habitants aux coutumes ancestrales, riches d’un passé toujours présent à travers des costumes aux couleurs chatoyantes. La même envie de faire découvrir un pays authentique, parfois difficile d’accès à celui qui ne s’arrête qu’aux vitrines et cartes postales.
Nous nous racontons notre dernier accident de moto, dont chacun de nous porte encore les traces. Moi, c’était un jour de pluie, un dérapage mal contrôlé. Plaies, hématome géant…rien que de très normal. Lui, c’était plus grave : une chute en montagne au Laos alors qu’il allait à la recherche d’un village oublié. Passé pas loin de l’autre bord. Aujourd’hui, on en rirait presque. Il me parle de ses projets. Je laisse ses photos parler à mon cœur. Loin d’être figées, elles vivent.
Chacune a mille façons d’être regardée, chacune invite à entrer dans une histoire. Lui m’explique l’instant, celui où il a saisi un regard, un geste, une posture. Loin de capturer les âmes, il les libère. Il donne à vivre plutôt qu’à voir. Mais pour lui, ce dont il est le plus fier, ce sont sans doute ces habits traditionnels qu’il a ramenés de ses visites dans les vallées les plus éloignées. Souvent dons de villageois qui n’avaient parfois jamais rencontré d’étranger, ils sont les témoins de cette immense tendresse qui l’unit à toutes les personnes que son œil nous donne à aimer.
Quand regard et émotions se conjuguent pour raconter un précieux héritage. |
Photo : Réhahn Croquevielle/CVN |
Encore un moment à bavarder, déjà des visiteurs viennent le solliciter. Avec beaucoup de gentillesse, il se plie au rite des autographes. C’est qu’il est connu dans le monde entier. Ces photographies ont fait la Une des magazines, s’exposent dans de nombreuses galeries. Ces albums ravissent les amateurs. Il suffit de voir avec quelle gourmandise les visiteurs du Musée des femmes du Vietnam à Hanoï admirent les visages de ces vieilles femmes à la beauté lumineuse, aux regards d’une jeunesse éternelle, derrière des mains que l’on a envie de serrer tendrement.
Il est temps de se quitter, avant de se revoir. En effet, nous n’en avons pas fini lui et moi, ni vous non plus : les mots et les images ont décidé de faire route commune, pour, nous l’espérons, le plus grand bonheur de ceux qui veulent découvrir et comprendre le Vietnam, en prenant les routes buissonnières.
Bravo l’artiste ! Merci Réhahn !
Gérard Bonnafont/CVN