Ce comité, placé sous l'égide du Comité populaire municipal, a proposé des mesures pour traiter ces blessures. Il s'agit d'un comité permanent, opérationnel 24 h/24. D'après Lê Xuân Rao, directeur du Service municipal des sciences et technologies, la mesure la plus sûre est le traitement sur place. L'objectif est de ménager la vénérable tortue, qui n'est semble-t-il pas au mieux de sa forme.
L'option choisie est d'installer un bassin spécial dans le lac, au niveau de la Tour de la Tortue. L'animal y serait gardé le temps nécessaire, c'est-à-dire trois mois selon les prévisions.
Le maire de Hanoi, Nguyên Thê Thao, a demandé aux services compétents que cette intervention sanitaire se fasse parallèlement avec l'amélioration de la qualité du lac. L'une des hypothèses en effet est que la tortue s'est blessée au contact des nombreux objets métalliques, coupants, qui traînent au fond du lac.
Le professeur Hà Dinh Duc, biologiste et grand spécialiste de la tortue, a informé qu'un groupe d'experts comprenant vétérinaires, biologistes, experts aquacoles… devrait voir le jour. Selon lui, certains ont proposé d'emmener la tortue à My Dinh, à 10km de son cher lac, quitte à l'évacuer par hélicoptère. "C'est jouer avec le feu", a-t-il estimé. C'est pourquoi le comité a décidé que les interventions vétérinaires se feraient au pied de la Tour de la Tortue.
Il y a aussi d'autres points à régler : comment la capturer sans trop la stresser ? Le filet de pêche semble l'option la meilleure. Et que lui donner à manger quand elle sera dans son bassin ? Certains envisagent de lui fournir de petits poissons à arêtes souples pour lui éviter des problèmes de transit intestinal, d'autres des escargots d'eau, voire des compléments en vitamine C... Des spécialistes de l'élevage des tortues devraient trancher cette question culinaire.
La tortue de Hô Guom est une espèce à carapace molle, dont le nom scientifique est Rafetus swinhoei. Cet animal sacré est étroitement lié à une légende remontant à l'époque de l'empereur Lê Loi (XVe siècle) qui, après avoir reçu de la tortue une épée magique pour bouter les agresseurs Ming hors du pays, la lui avait restituée.
La grande star du lac
On considère que l'apparition de cet animal séculaire est liée à de grands événements de la vie du pays. On l'a ainsi observée le jour de la mise en chantier du mémorial du roi Lê Thái Tô, au bord du lac (26 août 1999), le jour de la restauration du toit de la Tour de la Tortue (23 août 2000), le jour de l'inauguration du mémorial de Lê Thái Tô (27 septembre 2000)… Mais, pour les scientifiques, son apparition, de plus en plus fréquente ces dernières années, serait due, plus prosaïquement, à une dégradation de la qualité de son habitat.
"La tortue est capable, comme les poissons, d'utiliser l'oxygène dissous dans l'eau. Mais, lorsque l'eau est pauvre en oxygène, elle doit aller prendre des goulées d'air à la surface", explique le professeur Hà Dinh Duc. En 2007, la tortue a émergé des profondeurs du lac à 72 reprises, 134 fois l'année dernière, dont 23 fois pour le seul mois de décembre. Selon lui, "cette fréquence est anormale".
Selon ses statistiques, depuis le Nouvel An lunaire, la vieille tortue est remontée trois fois à la surface, les 1er, 2e et 4e jours du Têt, et à chaque fois assez longtemps, attirant des foules de badauds ébaubis, et provoquant même des embouteillages ! Le professeur Hà Dinh Duc a réussi à la filmer, obtenant des images très nettes de sa carapace et de son cou meurtris.
Tortues américaines sur la sellette
Lors d'un récent séminaire international sur la protection de la tortue vénérable de Hô Guom, tous les participants ont estimé qu'il y avait urgence. Ses blessures pourraient résulter d'un contact avec des objets tranchants. Des hameçons et des cadres de bicyclette ont d'ailleurs été récemment remontés du lac.
Le professeur Hà Dinh Duc, quant à lui, pointent du doigt les tortues de Floride (tortues à oreilles rouges) qui, selon lui, prendraient plaisir à mâchouiller la tendre carapace. Plusieurs fois, il les a observées juchées sur le dos de l'ancêtre, et a immédiatement fait le rapprochement avec ses blessures. Ces envahisseurs américains semblent en tout cas vivre leurs derniers instants de bonheur dans les eaux vertes du lac. Leur extermination est programmée et a d'ailleurs déjà commencée. "Un facteur aggravant est la pollution du lac. Sans compter que le niveau actuel est très bas, 95 cm voire 40 cm localement, ce qui complique les déplacements de la tortue et augmente les risques qu'elle se frotte à des objets coupants", explique M. Duc.
Selon d'autres experts, il faudrait aménager une plage de sable au niveau de la tour pour que le précieux chélonien puisse prendre des bains de soleil réparateurs, qui l'aideraient à se débarrasser de ses mycoses et autres parasites. De plus, il faudrait poursuivre les opérations de curage et de ramassage des déchets reposant au fond du lac, et surtout interdire le relâchage de ces tortues américaines.
* Un plan de sauvetage en 3 étapes :
- La 1re phase : améliorer la qualité du lac (curage, ramassage des déchets métalliques...),
préparation des équipements pour la capture et du bassin (30 jours).
- La 2e phase : capture de la tortue (de 5 à 15 jours selon la technique employée)
- La 3e phase : diagnostic, traitement des plaies, et estimation des résultats (environ 90 jours).
* Avis d'experts étrangers :
- Timothy McCormack, expert du Programme asiatique de protection des tortues : "nous sommes prêts à apporter notre contribution à la protection de la tortue de Hô Guom. Des experts internationaux et des vétérinaires expérimentés sont prêts à venir à Hanoi si on le leur demande. Il n'existe plus que deux spécimens de Rafetus swinhoei au Vietnam, celle du lac Hô Guom et un individu sauvage repéré au lac Dông Mô, à 50 km à l'est de Hanoi. Il s'agit de deux mâles. Ce que nous suggérons, c'est de coopérer avec la Chine qui possède deux femelles en zoo, pour tenter une reproduction. Ces quatre individus sont les derniers spécimens connus de cette espèce, vraiment au bord de l'extinction”.
- Nguyên Dào Ngoc Vân, collaboratrice du Réseau international de contrôle du trafic des animaux sauvages : " le cas de la tortue de Hô Guom doit nous faire réfléchir au problème des espèces exogènes. Il est clair que l'habitat de cette tortue n'est plus satisfaisant, et l'une des origines de cette situation est la prolifération des tortues de Floride, en liaison avec l'importation massive et incontrôlée de cette espèce envahissante”.
Hoàng Nam/CVN