Beauté cachée

À l’image de ces belles en áo dài, le Vietnam s’offre à voir sans se dévoiler. Une façon comme une autre de préserver sa beauté pour mieux en faire profiter ceux qui savent la découvrir.

Ce jour d’août, j’essaie désespérément de ne pas perdre ma fille dans les ruelles sinueuses du marché Đông Xuân (au centre de Hanoi). Ce marché, quel souk ! Héritier du vieux marché qui a brûlé en 1994, il a vite renoué avec l’âme de tout marché au Vietnam : proposer de tout pour tous.

Le marché Đông Xuân, au centre de Hanoi.

Mais, si abondance de biens ne nuit pas, abondance de marchandises entraîne abondance de chalands et m’oblige à ne pas perdre de vue un seul instant la casquette vert fluo à oreilles de lapin dont ma fille a coiffé sa chevelure d’ébène. Couvre-chef absolument grotesque, j’en conviens avec vous, mais il est plus facile, dans une mer de toisons de jais, de repérer deux gigantesques oreilles fluo qu’une chevelure parmi des centaines d’autres.

Quand je pense que cette tribulation n’est qu’un passage vers notre destination finale : la vieille maison de la rue Ma Mây, que ma fille a curieusement envie de revoir.

Un coin de la rue Ma Mây.

Bonbons nouveaux

Entre «xin lôi» (pardon) et «cam on» (merci), nous parvenons à nous extirper du ventre gigantesque qui avale chaque jour des milliers de touristes et de Hanoïens, les bras vides, et les régurgite chargés comme des mulets. Pour l’heure, nous n’emportons avec nous qu’un paquet de baguettes, fruit d’une commande domestique, et les odeurs d’épices, de seiches et crevettes séchées, d’anis étoilé…, qui collent à notre peau. Les rues qui nous séparent de la rue Ma Mây défilent à la vitesse de l’impatience d’une petite fille, tempérée par un papa qui sait ce que s’économiser veut dire. Mais je ne m’inquiète pas car je sais qu’après le premier virage à gauche, l’équipage subira un inévitable ralentissement : nous entrons dans la rue des gâteaux et des bonbons. La rue Hàng Giầy, la bien nommée ! En effet, la rue doit son nom en référence aux magasins de chaussures (giầy) autrefois. Aujourd’hui, les boutiques ont laissé la place à des épiciers qui étalent devant les yeux des bambins en extase des confiseries et des biscuits secs de toutes les couleurs et pour tous les goûts. Cette fois, c’est moi qui bouscule un peu ma fille, petite gretchen irrémédiablement attirée par toutes ses «maisons en pain d’épice».

La rue Hàng Giầy.

Après avoir sacrifié quelques dôngs sur l’autel d’un paquet de bonbons aussi verts que les appendices qui ornent la coiffure de ma fille, nous prenons un virage à 90° à gauche, en frôlant, sans s’y arrêter, la pagode Bach Ma (pagode du Cheval Blanc), l’une des plus vieilles de Hanoi, dont je vous conterai l’histoire une autre fois, quand je serais seul avec vous.

Nous voici dans la rue Hàng Buôm. Autrefois rue des Voiles, c’est là que l’on fabriquait les voilures qui flottaient fièrement sur les jonques descendant le fleuve Rouge, et au-delà. Aujourd’hui, plus de voileries, mais des marchands… d’alcool. Ce qui a sans doute pour effet de mettre du vent dans les voiles de certains.

Au bout de la rue, c’est enfin la rue Ma Mây, autrefois rue des Pavillons Noirs, et au 87, c’est enfin la vieille maison que veut voir ma fille.

Portes ouvertes sur des charmes d’antan...

Maison ancienne

Bien que père aimant, je ne suis pas dupe, et je me doute bien que ma fille ne m’a pas attiré ici par amour de l’architecture traditionnelle vietnamienne. Preuve m’en est donnée dès que nous enjambons le petit seuil en bois qui sert à empêcher les mauvais esprits de pénétrer dans la maison. Nous sommes dans ce qui servait autrefois de magasin : une vaste pièce close sur trois côtés, et qui ouvre par son quatrième, sur un patio à ciel ouvert, au milieu duquel trône un bassin de pierre, sculpté, dans lequel quatre grosses carpes rouges et roses dansent un sempiternel tango aquatique.

J’ai à peine le temps de m’habituer à la pénombre que ma fille est déjà au cou des gardiennes des lieux en áo dài traditionnel. Comme cette maison fait partie de mes visites habituelles lorsque j’accompagne des amis dans Hanoi, nous faisons un peu partie de la famille. D’ailleurs, ce sont des «Chào chú» (Bonjour oncle) qui m’accueillent, tandis que ma fille est entraînée dans l’arrière-cour pour pratiquer un de ces jeux favoris : faire parler un mainate.

En effet, cette vénérable maison abrite dans ce qui servait de cuisine à ciel ouvert quelques pensionnaires à plume, dont un superbe mainate noir qui passe ses journées à regarder d’un œil rond les touristes défiler devant lui. Et ce mainate a une particularité : il sait prononcer quelques mots, notamment «Có khách», autrement dit «Il y a un touriste». Seulement, l’animal est têtu comme une bourrique, et il ne parle pas sur commande, mais seulement si l’interlocuteur lui paraît suffisamment digne d’attention. Ce qui n’est pas mon cas, semble-t-il, car je n’ai jamais pu lui extorquer la moindre… parole. Par contre, je me demande si ma fille n’a pas été mainate dans une vie antérieure, car elle et l’oiseau s’en donnent à cœur joie pour le plus grand plaisir des spectateurs présents.

Des oiseaux bavards qui se méritent...

Après avoir philosophé quelque temps, l’oiseau décide de se balancer, yeux clos, sur son perchoir et l’humaine d’en faire autant sur le hamac tendu entre deux piliers en bois, en engouffrant simultanément la moitié d’un kilo de ses affreux bonbons verts…

Pendant que ma fille envahit l’arrière-cour, je promène ma solitude dans la vénérable maison, admirablement restaurée. Si ces magnifiques meubles de bois précieux incrustés de nacre et ciselés avec art pouvaient nous raconter leur histoire, nous saurions en l’honneur de qui est érigé ce monumental autel des ancêtres, quelles histoires d’amour a connu l’imposant lit en bois, quelles confidences ont été échangées autour de tasses de thé vert, disposées sur la table de marbre, quelles joies et quels malheurs ont émaillé la vie des générations de commerçants qui ont vécu ici. Un court instant, je suis transporté 300 ans en arrière…

Si vous passez par Hanoi, venez ici, remontez un peu le temps ! Et les sourires féminins qui vous accueilleront sont éternels. Une part de la beauté du Vietnam.

Gérard Bonnafont/CVN

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