Situé à une quarantaine de kilomètres du centre-ville de Hanoi, le village de Cuu, commune de Van Tu, district de Phu Xuyên (Hanoi), abrite des dizaines de villas bientôt centenaires. Ce lieu est connu de nombreux journalistes, photographes et, surtout, étudiants de l'École supérieure d'architecture et de l'École des beaux-arts de Hanoi, qui viennent ici pour parfaire leur coup de crayon. Un parfum de nostalgie flotte entre ces vieux murs moussues, d'autant plus que nombre de ces belles bâtisses continuent de subir les outrages du temps, dans l'indifférence quasi générale...
Cuu est niché au bord de la rivière Nhuê. Avant 1920, ce village était très pauvre et les habitants subissaient sans broncher des disettes récurrentes liées aux caprices du climat. Vers 1930, un grand incendie a détruit la moitié des habitations. De nombreux villageois sont alors obligés de quitter leur terre natale, choisissant pour la plupart Hanoi pour gagner leur vie. Certains se lancent avec un certain succès dans le commerce d'étoffes et de vêtements, et demandent à leurs proches restés à Cuu de venir les rejoindre. Ces commerçants débrouillards acquièrent une telle notoriété que les colons français et les Hanoïens de la haute bourgeoisie viennent y passer commande. Certains partent même à Sài Gon ouvrir de nouvelles boutiques.
Auréolés de leur succès et les poches remplies de piastres, ils reviennent dans leur pays natal pour construire des résidences secondaires cossues. Les jolies constructions du village, preuves magistrales de leur réussite, ont été bâties entre 1920 et 1945, informe Bùi Van Khanh, villageois octogénaire. Leurs façades, harmonieux mélange d'architectures occidentale et orientale, ont été soigneusement décorées, témoignant de la créativité et du sens esthétique de leurs propriétaires.
Les hommes d'affaires locaux ont également financé sur leurs propres deniers une école, les deux portes d'entrée monumentales du village, le réseau d'éclairage public... Jadis pauvre, Cuu s'est métamorphosé grâce à ses enfants en une décennie et a connu son "âge d'or" dans les années 1940.
Les belles maisons tombent dans l'oubli
Mais après 1945, le vent de la révolution commence à souffler fort et beaucoup de ces riches propriétaires doivent se résoudre à quitter le village et laisser derrière eux leurs belles demeures.
Actuellement, certaines villas n'ont plus de propriétaires et sont toujours fermées. D'autres se décrépissent à vue d'œil mais ne sont pas restaurées faute de conditions financières suffisantes, explique Nguyên Van Lâp, un villageois de 65 ans. Les cours se remplissent de feuilles mortes, les murs et les toitures de tuiles se couvrent de mousses... Ce paysage, s'il ravit et inspire les artistes, ne manque pas de susciter auprès des autres visiteurs une certaine impression de tristesse et de gâchis.
Le village de Cuu d'aujourd'hui compte une centaine de familles, soit environ 600 personnes, qui pour la plupart vivent du travail de la terre. Rares sont ceux qui ont repris le flambeau de leurs riches aïeux. Cependant, la majorité des foyers conserve dans un coin une machine à coudre, couverte de poussière, comme le souvenir précieux d'un passé révolu.
Tournant le dos à son passé glorieux, le village de Cuu est redevenu une paisible localité agricole où le temps s'écoule au rythme lent des travaux champêtres.
Ces derniers temps, devant la venue croissante de visiteurs, certains habitants ont commencé à réfléchir à la possibilité de faire de leur village une destination touristique, un peu à l'image de celui de Duong Lâm, près de Son Tây. Une utopie selon certains qui pointent du doigt le fait que Cuu ne vit que de la riziculture et que les habitants n'ont pas de métier secondaire. Et puis, mis à part ses dizaines de villas, la localité ne compte ni temple ou pagode, ni beaux paysages naturels susceptibles de faire s'extasier le touriste de passage. Il manque donc des conditions pour organiser des balades organisées, en tous cas actuellement.
Dans l'immédiat, les habitants ont besoin d'une aide financière de l'État pour restaurer leurs anciennes maisons, qui se dégradent à petit feu. Pas seulement dans leur intérêt exclusif, mais aussi pour préserver un pan du patrimoine architectural et culturel national que les générations futures ont aussi le droit de connaître.
Hoàng Hoa/CVN