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Des Libyens déjeunent au Toucan, un restaurant ouvert récemment, à Tripoli le 10 avril. |
Zigzaguant entre les tables de son restaurant de Tripoli, les bras chargés de plats et de corbeilles de pain au romarin juste sorti du four à bois, Abdelmuttaleb Twigiri fait la navette entre la cuisine, le pizzaiolo et l’étage avec vue sur la mer.
C’est soir d’inauguration au Toucan, et ce Tripolitain de 46 ans est tout heureux d’avoir enfin pu ouvrir son restaurant : il propose une «fusion» de cuisines méditerranéennes, dans une ville où les habitants cherchent à retrouver un semblant de normalité.
«Si j’attends qu’un gouvernement (...) m’apporte ce dont j’ai besoin, je risque d’attendre longtemps», explique Abdelmuttaleb.
«C’est grâce aux gens que la vie peut continuer», dit-il. Son établissement fait partie de la quinzaine de cafés, restaurants et fast-foods qui ont poussé ces trois derniers mois au bord d’une route très fréquentée d’environ 15 km, qui traverse Hay al-Andalous, Gargarech, Abou Nawas et Siyahiya, les quartiers résidentiels de l’ouest de Tripoli.
À l’image d’un pays plongé dans le chaos depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la capitale libyenne a souffert des divisions politiques et des combats meurtriers.
À cela s’ajoute une crise économique marquée par la chute dramatique des exportations pétrolières, ressource principale du pays, la cherté de la vie, des retards dans les salaires et, depuis quelques mois, une crise de liquidités.
Depuis bientôt deux ans, les Tripolitains avaient même perdu leurs repères dans leur propre ville et avaient limité leurs déplacements et loisirs.
Mais depuis la conclusion en décembre au Maroc d’un accord politique sous l’égide de l’ONU qui a donné naissance à un gouvernement d’union nationale et l’installation de ce dernier en mars à Tripoli, l’humeur a changé dans la capitale libyenne.
«Matin, midi et soir»
Dès que les gens «se sentent en sécurité, ils investissent», explique Abdelqader al-Kanouni, président d’une association caritative.
«Il y a tant de gens en détresse», glisse Abdelmuttaleb Twigiri, gorge nouée mais heureux que son Toucan fasse vivre «cinquante familles».
Malgré les difficultés, la passion des Tripolitains pour le café et les lieux de restauration ne faiblit pas et ces établissements souffrent moins que d’autres de la crise. Leur main-d’œuvre est essentiellement étrangère, moins coûteuse.
Le café est souvent importé d’Italie, ancienne puissance coloniale, de même que les machines ultramodernes au design épuré pour le préparer.
Les Libyens boivent du café «matin, midi et soir», dit Mohamad Aguili qui a ouvert il y a deux mois le Harley Davidson Café, à la limite ouest de Tripoli, devant lequel huit motos aux chromes rutilants sont garées, tous les après-midi.
Il y a des cafés pour tous les budgets, explique-t-il.
«Nous voulons vivre»
Malgré les risques sécuritaires et économiques, M. Aguili s’est lancé dans le projet. Dans les affaires, «il faut du courage. On se jette (dans l’aventure) et puis ça passe ou ça casse», dit-il.
Un cuisinier dans ses œuvres au Toucan. |
Dans la section «Familles» du Café Veranda, célèbre pâtisserie de Tripoli qui a su préserver sa qualité même après le départ de son chef italien en 2011, les cousines Hind, Mira et Lamaan - maquillage et manucure parfaits, carrés de soie en guise de hijab -tentent de se faire entendre au-dessus du brouhaha.
À Tripoli, «les loisirs sont limités», assure Mira, 23 ans et étudiante en pharmacie. «Il y a les cafés, des heures sur Facebook ou les deux à la fois».
Les cafés et les restaurants permettent «d’avoir un semblant» de vie sociale, dit Hind, 25 ans. «S’ils sont ouverts, c’est que tout va bien». «Bombes ou crise économique, les gens continueront à boire du café». Ce qu’Abdelmuttaleb Twigiri, le patron du Toucan, résume d’une autre façon : «Nous voulons vivre».
«Les Tripolitains se tordent mais ne cassent pas», dit-il fièrement. Un peu comme ces palmiers dattiers battus par les vents sur le front de mer devant son restaurant, plantés pour remplacer le haut mur, aujourd’hui détruit, que les fils Kadhafi avaient fait ériger pour bloquer l’accès à des kilomètres de plage.
AFP/VNA/CVN