À Solingen, la renaissance du rasoir à l'ancienne fait la joie des couteliers allemands

Les étincelles jaillissent, un ouvrier affine la lame d'un rasoir «coupe-chou», spécialité de l’entreprise Dovo. Pour elle et ses concurrentes installées à Solingen, le fief allemand de la coutellerie, le renouveau du rasage masculin «à l'ancienne» est une aubaine.

La PME Dovo, établie depuis 1906 à Solingen, dans l’Ouest de l’Allemagne, compte 70 salariés.

«Chez nous, la majeure partie du travail est réalisée à la main», affirme fièrement Ulrich Wiethoff, le directeur de l'usine Dovo, en déambulant à travers les ateliers où chacun s'affaire. Ici, on polit ; là, on aiguise ; plus loin, on peint avant d'empaqueter.

Établie depuis 1906 à Solingen, dans l'Ouest de l'Allemagne, cette PME de 70 salariés produit une large gamme d'instruments de toilette en acier. Sa renommée, Dovo la doit toutefois en grande partie à ses rasoirs droits, également connus sous le nom de «coupe-chou» ou «sabre», dont il est l'un des principaux fabricants mondiaux.

Équipé d'une longue lame repliable et d'un manche allongé, ce type de rasoir avait quasiment disparu durant la deuxième moitié du XXe siècle, terrassé par l'avènement des lames jetables et des appareils électriques.

Mais «depuis une dizaine d'années, il y a une renaissance du rasage traditionnel auprès du public masculin et un très fort redémarrage de la demande», explique M. Wiethoff, devant une étagère où des rangées d'élégants coupe-choux noirs attendent d'être envoyés aux quatre coins du monde.

Même James Bond

Depuis le début des années 2000, la production annuelle de rasoirs chez Dovo est passée de quelques milliers à plusieurs dizaines de milliers et une vingtaine de salariés s'y consacrent désormais exclusivement, contre trois en 2000.

Même constat ailleurs : si ce marché reste de niche, la demande a quasiment doublé tous les ans ces dernières années, affirme le coutelier allemand Böker, implanté lui aussi à Solingen. L'engouement touche tout particulièrement l'Europe et les États-Unis.

«Les hommes prennent davantage soin d'eux et s'intéressent de plus en plus à l'entretien du corps. Cela aboutit presque fatalement à redécouvrir la vieille méthode du rasage classique», explique Chris Kurbjuhn, auteur du blog spécialisé allemand Nassrasur («rasage humide»).

«Faire tourner un blaireau garni de mousse sur sa barbe, faire ensuite glisser la lame sur sa peau dans le calme et le silence, c'est un peu comme un rituel, ça s'apparente au retour à une forme de virilité. Cela produit beaucoup de plaisir», assure ce passionné.

Des rasoirs «coupe-choux» de Dovo.

Une redécouverte dont Internet et les réseaux sociaux sont le fer de lance, avec un foisonnement de blogs, forums et vidéos consacrés au sujet. En parallèle, échoppes de barbiers, sites de vente en ligne de produits dédiés et cours de rasage se multiplient.

Le cinéma n'est pas en reste : dans le film Skyfall sorti en 2012, avant-dernier volet des aventures de James Bond, l'acteur Daniel Craig qui incarne le célèbre espion britannique se rase au rasoir droit. Dix ans plus tôt, dans l'opus «Meurs un autre jour», son précédesseur Pierce Brosnan utilisait... un rasoir électrique.

Anticonsumérisme

«On voit que la génération Y tente de réapprendre des choses que celle des babyboomers a oublié de lui transmettre. Pendant longtemps, il n'y a plus tellement eu d'éducation sur comment se raser, s'habiller et sur beaucoup d'autres choses associées à la masculinité», analyse Geoffrey Bruyère, cofondateur de Bonne Gueule, blog francophone spécialisé dans la mode masculine.

Pas sûr toutefois que le rasage à l'ancienne se démocratise au point de débarquer prochainement dans les rayonnages des grandes surfaces.

«On assiste à (...) un retour à des choses authentiques. C'est une démarche anticonsumériste et hédoniste» mais qui reste encore le fait d'un très petit nombre d'hommes, estime ce blogueur.

Du reste, «on ne peut pas s'y mettre du jour au lendemain. Il faut apprendre les bons gestes. (...) En outre, ce rasage prend un peu plus de temps et n'est pas très adapté à une population d'hommes pressés», souligne Chris Kurbjuhn.

Et même si «un coupe-chou bien entretenu dure toute une vie», les quelque 150 euros minimums à débourser pour un exemplaire neuf et le matériel qui l'accompagne constituent un frein pour beaucoup, ajoute-t-il.

À Solingen, les couteliers s'accommodent très bien de cette situation : «Nous ne voulons pas être un produit de masse. Nous voulons garder un esprit d'atelier et d'artisanat», assure Carsten Felix-Dalichow, patron de Böker.


AFP/VNA/CVN

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