Blinder son véhicule coûte entre 30.000 et 45.000 dollars à Karachi. |
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«Karachi est de loin plus dangereuse que Kaboul», lance sans broncher Nadeem Khan, propriétaire de marbreries et de laboratoires pharmaceutiques installés dans une zone industrielle de Karachi, où il ne fait pas toujours bon d’être riche. «Les risques d’enlèvement sont élevés», enchaîne le quarantenaire vêtu d’une fine tunique opaline.
Monstre humain de 18 millions d’habitants planté sur les rives de la mer d’Arabie, Karachi est à la fois le poumon économique du Pakistan, avec ses usines remplies de «petites mains» à rabais, ses marchands et ses banquiers aux cheveux gominés, et le foyer de toutes les tensions, excès et disparités du pays.
Une guerre des gangs sans merci sur fond de rivalités politico-ethniques, la montée en puissance des talibans dans certains quartiers et l’augmentation de la petite criminalité ont contribué à y créer une culture de l’impunité sous le regard désemparé des policiers.
L’an dernier, plus de 2.000 personnes ont été assassinées à Karachi. Du jamais vu ! À quoi s’ajoutent 127 enlèvements, un autre record, selon le Comité de liaison entre les citoyens et la police. Et rien ne semble s’améliorer cette année...
Alors on se blinde. Jadis apanage des politiques, diplomates ou haut-gradés de l’armée, la voiture blindée se répand chez l’élite argentée.
Nadeem Khan a fait renforcer récemment deux de ses véhicules. Et il attend deux autres colosses, blindés chez un armurier des temps modernes. «J’ai été menacé à plusieurs reprises par les +bhattas+, les extorqueurs... Je veux donc des véhicules blindés pour ma famille, mon frère et mon père», souffle-t-il.
Dans un atelier impeccable au plancher en béton verni, campé sur le tapis de poussière de la grande banlieue de Karachi, une horde de mécanos de la firme Streit s’agite sur une quinzaine de 4x4 décharnés. Les imposants Toyota Land Cruiser ne sont plus que squelettes : un moteur, des roues et un frêle châssis sans portières, sièges, volant ou électronique.
Les mécaniciens insèrent d’épaisses plaques d’acier taillées au laser dans les portières, renforcent le plancher, installent des vitres pare-balles et fortifient la suspension pour soutenir la tonne d’acier et de verre ajoutée à ce colosse condamné à s’user prématurément et à engloutir encore plus d’essence pour traîner sa carapace.
Coût de cette chirurgie ? «Entre 30.000 et 45.000 dollars» pour une protection «BR6», résistante à des rafales d’arme automatique, chiffre Khalid Yousaf, président de la filiale au Pakistan de Streit. L’équivalent au Pakistan d’une vie de labeur au salaire minimum...
Pour la paix de l’esprit
Et pourtant la demande explose chez ces armuriers qui proposent la «paix de l’esprit» à une clientèle nantie. «Nous avons ouvert notre site en décembre et prévoyions de convertir trois à quatre voitures par mois. Mais nous sommes rapidement passés à sept, puis dix et maintenant 15 voitures, et peut-être plus à l’avenir. C’est inespéré», lance M. Yousaf, costume trois pièces et montre de luxe.
«C’est une tendance qui s’impose actuellement chez les riches, les hommes d’affaires et les banquiers. Avant, les banquiers circulaient en 4x4 normal mais au cours des derniers mois, plusieurs d’entre eux ont reçu l’ordre de blinder leurs voitures», observe un vendeur requérant l’anonymat.
Vitres pare-balles résistantes aux tirs de kalachnikov, châssis en acier renforcé, pneus «increvables»... les voitures de luxe blindées constituent un nouveau marché pour les ateliers automobiles. Photo : AFP/VNA/CVN |
Plus jeune, Saif (nom fictif) connaissait des «amis d’amis d’amis» qui avaient été braqués. Aujourd’hui, ce sont directement les siens qui ont vu un fusil être pointé sur eux.
«La question n’est donc plus de savoir si cela vous arrivera. Cela vous arrivera! La seule question est de savoir si vous êtes bien protégés», confie ce cadre qui a reçu l’autorisation des services de sécurité pour blinder son 4x4, mais tarde encore à passer à l’acte.
C’est qu’une carapace d’acier n’est pas un gage de survie. Début juillet, le chef de la sécurité du président pakistanais Asif Ali Zardari, Bilal Sheikh, naviguait dans la circulation chaotique de Karachi lorsqu’il a été piégé.
Au moment où son chauffeur a ouvert sa portière, un kamikaze s’est précipité sur la jeep blindée pour faire exploser sa ceinture explosive, projetant la boule de feu à l’intérieur de la voiture. Le proche du président est décédé.
«Blinder un véhicule, ça vous protège de la +petite criminalité+ comme les braquages», estime Saif. «Mais si des gens veulent vraiment votre peau, ils vont finir par l’avoir et attendre le moment où vous sortez de votre véhicule».
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