Xing Nha, épopée des Ê-dê et des Jarai

Le Tây Nguyên (hauts plateaux du Centre) est l’habitat de nombreuses ethnies minoritaires parmi lesquelles les Ê dê et les Jarai. Dans la riche littérature orale de ces ethnies, la chanson épique Xing Nha est un véritable joyau.

L’épopée Xing Nha reflète les mœurs et coutumes d’une société primitive. Le héros de l’épopée, Xing Nha, incarne l’invincibilité du peuple dans le combat contre l’oppression et son cortège de cruautés, de violences et d’injustices que représente le vieux chef de tribu Jaro Bu.

Lors des fêtes, les Ê-dê au Tây Nguyên ont la tradition de jouer du gong devant leur nhà dài (maison longue).

Xing Nha était le fils du chef de tribu Jaro Kok. Celui-ci vivait, paisible et heureux, au milieu de ses gens avec sa femme et son enfant. Mais le chef d’une tribu voisine, Jaro Bu, qui convoitait ses richesses, lui déclara la guerre. Au cours de la bataille, Jaro Kok tomba sous les coups de Jaro Bu. Sa femme, Hobia Da, fut emmenée en esclavage. Les gens fidèles au chef vaincu réussirent cependant à sauver le petit Xing Nha. Des années s’écoulèrent, Xing Nha devint un fort et grand jeune homme. Il se rendit seul dans le village de Jaro Bu pour venger son père. Il réussit à tuer Jaro Bu et à libérer sa mère Hobia Da.

Nous donnons ci-dessous la traduction faite par Nguyên Van Thu d’un extrait de la chanson qui relate les péripéties du voyage de Xing Nha vers le village de Jaro Bu, le combat à mort qui s’en suivit et la victoire du jeune héros). Les intertitres de l’extrait donnés par la rédaction sont là pour faciliter la lecture.

Le danger de mort

- Ô chère Hobia Blao ! dit Xing Nha, va dire aux femmes des frères Jaro Bu de venir ici récolter leurs haricots. Dis leur que Xing Nha et sa mère sont rentrés dans leur village depuis la veille au soir.

Hoblia Blao se rendit au village. Elle rencontra Hobia Gue devant sa porte.

- Hobia Blao ! interpella Hobia Gue. Le maudit diable et sa mère sont-ils déjà retournés chez eux ?

- Ils ont pris le chemin de retour. Vous pouvez maintenant aller sans crainte au +rây+ pour récolter les haricots.

Les femmes des frères Jaro Bu se rendirent aussitôt au +rây+, munies de leur hotte, précédées par récolte a été entièrement dévastée, Hobia Gue frappa furieusement le sol du talon et se répandit en lamentations.

- Au maudit fantôme, maudit diable, que le tigre te dévore ! Tu as piétiné mon paddy qui mûrit.

Mais Hobia Blao, ne voyant nulle part Xing Nha l’appela :

- Ô Xing Nha ! Le soleil se cache déjà derrière la montagne de l’Ouest. Quand reviendras-tu me chercher ?

- Ô Hobia Blao ! dit Hobia Gue tremblante de peur, Xing Nha se trouve-t-il encore dans le +rây+ ?

- Non, dit Hobia Blao tristement, il n’y est plus ! Le soleil est déjà descendu au pied de la montagne de l’Ouest. On a donc oublié la vieille histoire.

Elle ne savait pas encore que Xing Nha était en train de courir un grand danger. Jaro Bu, traîtreusement, avait lâché de nouveau l’éléphant de Porong Mung qui, cette fois-ci, attaquant par surprise, réussit à enserrer le jeune homme de l’élan meurtrier de ses défenses. L’éléphant emporta sa proie, dans sa course folle, vers le village de Jaro Bu. La femme du génie Ghon qui faisait sécher le paddy dans la cour, vit Xing Nha dans cette fâcheuse posture. Elle réveilla son mari.

- ô mon mari ! dit-elle. Regardez là-bas ! Votre petit neveu Xing Nha est en danger de mort !

L’aide du génie Ghon

Réveillé en sursaut, le bon génie protecteur Ghon jeta immédiatement de la poudre magique sur Xing Nha qui revint à lui. Il sauta par terre, empoigna les défenses de l’éléphant qui s’immobilisa net comme la statue de pierre gardienne des tombeaux. Xing Nha arracha les défenses, les brisa comme la canne à sucre. Il donna celle de gauche à Hobia Blao et jeta celle de droite dans la maison de Jaro Bu.

- Ô mon frère Porong Mung ! cria Jaro Bu, le maudit diable Xing Nha a brisé les défenses de ton éléphant.

- Ô mon frère Jaro Bu ! Fuyons vite ! implora Porong Mung.

- Pourquoi fuir devant le chevreau dont les cornes sentent encore le sang de sa mère ?

Une terrible bataille opposa ensuite Xing Nha aux cinq frères Jaro Bu. Successivement, leurs cinq têtes s’abattirent au pied du banian. Jaro Bu se décida enfin à prendre son bouclier et son sabre.

- Ah ! Vous voilà Jaro Bu ! s’écria Xing Nha, qui de nous deux va fuir le premier devant l’autre ?

- Ô oiselet +linh+ que tu es et dont l’aile n’a pas encore toutes ses plumes ! cria avec haine Jaro Bu. Commence le premier à faire des moulinets !

Xing Nha fit tournoyer son bouclier, soulevant de nouveau une véritable tempête de poussières ! On n’y vit goutte comme au septième mois lorsque les nuages couvrent le ciel. Xing Nha bondit par-dessus les montagnes et les cols, plana au-dessus des ruisseaux, aussi léger et rapide que l’oiseau +go ru+.

Jaro Bu fut pris de vertige.

Bon ! cria-t-il de colère, cette fois-ci, je ne peux pas te tuer. Mais je détruirai de fond en comble ton village. Ta tête doit être aussi noire et ton sang aussi rouge que ceux de ton père… Je vais de ce pas dans ton village égorger ta mère.

Mais Xing Nha lui barra le passage :

- Ô Jaro Bu ! Je me trouve du côté du soleil levant. C’est à toi maintenant de faire des moulinets. Prend garde ! Je vais t’attaquer.

Sans un mot, blême de rage et de haine, Jaro Bu fit tournoyer son bouclier. Mais il le fit difficilement. Il donna le spectacle pitoyable d’une poule encerclée par les eaux, des étoiles qui s’égarent dans leur course. Son long sabre frappa dans le vide. Xing Nha fit alors un pas en avant, un seul coup et son sabre trancha aussitôt le pied de Jaro Bu dont le sang gicla vers le ciel.

- Ô Jaro Bu ! Quel est donc ce sang qui coule de ton pied ?

- C’est le sang de la sangsue de la montagne Ho Mu, dit Jaro Bu tout en continuant à se défendre.

Xing Nha frappa le bras droit de Jaro Bu qui lâcha son sabre.

- Ô Jabo Bu ! Ton sabre est donc tombé ?

- Ce n’est pas vrai ! Ce n’est que le bruit du jouet «luc lac» des enfants. Ce n’est que le son plaintif du cerf-volant !

La bataille finale

Jaro Bu s’efforça de manœuvrer encore son bouclier mais Xing Nha lui asséna un coup terrible qui le brisa en morceau… Il ne resta plus que Porong Mung. Le dernier combat eut lieu ! Le génie Ghon dans le ciel, suivit attentivement la bataille et écarta de temps en temps les nuages noirs et blancs qui lui masquaient la vue. Le combat dura sept jours et sept nuits, dans la tempête, au milieu des grondements du tonnerre. Quand Xing Nha allait prendre le dessus, le génie Ghon lui enleva un peu de sa force, mais quand il perdit pied, Ghon lui jeta de la poudre magique qui redonna de la force au jeune héros. Dans le ciel, sur la terre, se déchaînèrent la pluie et l’orage, le vent et la tempête qui déracinèrent les arbres et fendirent les montagnes. Après des mois et des mois de lutte après et incertaine, depuis le mûrissement des fruits «ka lo» jusqu’à la récolte du millet, les deux adversaires tombèrent enfin épuisés devant la hutte de Hobia Blao.

- Ô ami Porong Mung, gémit Xing Nha, donne moi le coup de grâce.

- Ô ami Xing Nha, répondit Porong Mung, achève-moi.

Hobia Blao descendit de sa hutte, vêtue de sa belle robe brodée de fleurs. Sa démarche était légère comme celle de la biche foulant l’herbe tendre. Un poignard à la main, devant les deux corps étendus par terre, tête contre tête, elle réfléchit sur le cruel dilemme :

Égorger Xing Nha ? Comme il est jeune et beau ! Et puis n’est-il pas venu avec la noble mission de venger son père et libérer sa mère ?

Égorger Porong Mung ? Je perdrais alors pour toujours un être très cher depuis ma tendre enfance.

Surgit alors le génie Ghon qui fit tomber le poignard de la jeune fille sur la gorge de Porong Mung. Xing Nha, se dressant à demi, cria :

- Je ne t’épouserai jamais, ô jeune fille qui ose tuer un homme.

À ces mots, Hobia Blao devint livide de désespoir. Sa tête lui tournait comme quelqu’un qui a trop bu. Ses oreilles bourdonnaient. Et devant ses yeux, arbres, forêts, montagnes, tout tournoyait à une vitesse vertigineuse…

(À la fin de la chanson, l’innocente Hobia Blao deviendra la femme de Xing Nha. Bra Tang épousera Xing Mun, le frère de ce dernier).

Huu Ngoc/CVN


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