Tranches de vie : voyage au centre de la ville !

"Toi Hanoi, tu m'as pris dans tes bras…". Cette phrase qu'un chanteur venu de l'autre côté de la Méditerranée a écrit pour Paris, je l'ai fait mienne pour Hanoi, ville millénaire qui ne cesse de m'émerveiller. Il n'est pas un jour où je ne découvre quelque rue ou ruelle qui me dévoile un nouveau secret. Même quand je crois la connaître, Hanoi se dérobe, se fait prier pour mieux m'attirer et me séduire. Comme ces élégantes du siècle dernier, elle ne dévoile qu'une parcelle de sa peau que pour mieux laisser à l'imagination de ses soupirants les charmes qu'elle aurait pu leur accorder !

Quand je me promène dans Hanoi, j'ai la sensation de visiter non pas une ville, mais plusieurs villages : Hoàn Kiêm, Hai Bà Trung, Ba Ðình, Long Biên… Autant d'atmosphères différentes, autant de visages d'une Hanoi multiforme, riche de plus de mille ans d'histoire. Tenez, justement aujourd'hui, j'ai un peu de temps. Suivez le guide…

Le tourbillon de la vie…

À tout seigneur, tout honneur. C'est dans le vieux quartier des 36 corporations que je vous conduis. Quand on dit qu'ici est le cœur de Hanoi, on ne se trompe pas.

Plus qu'ailleurs, ici ça vit, ça grouille, ça se bouscule. Les boutiques se serrent les unes contre les autres en un immense marché à ciel ouvert qui offre à la vue des passants l'abondance de ses étals.

Ici, on trouve absolument tout… et plus encore. Les trottoirs sont l'objet d'une lutte âpre entre piétons et motos : les premiers souhaitant déambuler, les secondes souhaitant s'y reposer.

D'ailleurs ici, on ne marche pas, on esquive, on se faufile ! Pour échapper à la foule des touristes en perdition et des chalands affairés, il faut se glisser dans une de ces maisons-tunnels dont les longs couloirs étroits se cachent derrière des portes anodines. Allez, venez, je vous invite. Regardez cette étroite ouverture, fermée par une porte en bois à la peinture écaillée. Poussons la porte et allons-y, sous l'œil étonné des Vietnamiens qui ne voient pas souvent des Occidentaux franchir la frontière de cet univers ! Oui, je sais, on n'y voit rien… au premier abord. Il est vrai que la lumière crue du soleil de juin nous aveugle depuis si longtemps que nos yeux ont quelques difficultés à se faire à l'obscurité de ce tunnel. Mais, passées les premières secondes, vous vous apercevez qu'il ne fait pas si sombre que cela. En fait, la lumière se glisse par le ciel d'arrière-cours qui se cache là-bas, tout au bout. Bon, c'est vrai qu'il reste encore quelques zones mystérieuses ou les ténèbres ont droit de citer, mais, que diable, vous n'allez pas avoir peur de faire quelques mètres dans le noir ! Ça bouge là-dedans, dites-vous ? Oh, ce n'est pas grave, sans doute quelque rat que nous avons dérangé dans sa chasse à la nourriture ou dans son repos ! Mais, vous frissonnez ? Ah, c'est la fraîcheur des lieux, en comparaison à la chaleur qui nous assommait quand nous étions dans la rue. C'est que nous sommes dans une grotte ! Grotte urbaine, due à l'industrie des hommes, mais grotte tout de même. Regardez au plafond, les stalactites que des siècles d'humidité volent aux pierres pour les suspendre en dentelle de calcite. Attention aussi au salpêtre des murs qui s'émiettent sous les mains qui s'hasardent à les toucher. Et ce silence ! Vous l'entendez ? Porte fermée, nous sommes dans un autre monde, loin du brouhaha de la foule. Nos pas résonnent sur le sol aux pavés inégaux et nous avançons vers cette lueur qui nous attire au bout du tunnel.

Le silence de pierre !

Mais qu'est-ce cela dans le mur ? Des cachots ? Non, ce sont simplement les grilles d'entrée d'un logement. Chaque tunnel est comme une rue, qui aligne de part et d'autre des habitations et des boutiques. Tenez, voyez, celle-là est ouverte, et dans la pièce carrée qu'elle dévoile, c'est un tailleur qui accroupit, coupe et taille des morceaux de tissus, sans doute destinés à quelque commerçant du dehors, dans la rue Hàng Gai ou Hàng Bông.

Plus loin, c'est une autre demeure, chichement éclairée, où une mère berce son enfant, en préparant le repas. Allez, venez, passons comme des ombres pour respecter l'intimité de ces gens. Ah, ça y est, nous sommes dans l'arrière-cour, lueur qui nous a guidé dans la traversée du tunnel. Un arbre aux feuilles épaisses se dresse fièrement dans la courette. À son pied, une marmite gargouille doucement sur un réchaud de braises. Des fils sont tendus, sorte de pergola, d'où goutte l'humidité du linge suspendu. Contre un mur, un vieux vélo, voisin avec une moto flambant neuve. Dans un coin, une cage avec 2 poules qui nous regardent d'un œil rond de gallinacé étonné ! Une vieille dame édentée est accroupie devant une porte. Son sourire aux gencives rougies par le bétel nous accueille avec simplicité.

-"Xin lôi bà, chúng tôi làm phiên bà !" (Excusez notre grand-mère, nous vous dérangeons !).

- "Không sao dâu !" (Pas grave du tout !).

C'est ça de très ennuyeux avec les Vietnamiens, c'est que c'est toujours pas grave du tout, même quand ça l'est. Comment se sentir coupable dans ces conditions ? Comment cela, vous voulez retourner sur vos pas ?

Mais non, venez ! Regardez là à gauche, il y a une petite ouverture : le tunnel continue. Spéléologues d'un nouveau genre, nous quittons la salle à ciel ouvert pour nous engouffrer dans une autre caverne. Oui, je sais, il fait vraiment très sombre. Heureusement, j'ai la lampe de poche. Attention, suivez-moi bien, car vous risqueriez de vous cogner le nez dans le mur ! Ce couloir-ci n'est pas rectiligne. Les coudes se succèdent, il faut même parfois baisser la tête car le plafond est moins haut. Mais non, on ne va pas être obligé de plonger dans un siphon !

D'ailleurs, tenez, voilà une autre cour. Sortis des entrailles de pierre, vous êtes éblouit par le soleil ! Ici, une cascade de bougainvilliers mauve dégringole le long des façades. Des escaliers de bois montent à l'assaut de balcons qui laissent deviner des logis obscurs. Une dizaine d'enfants courent se réfugier dans les pantalons de leurs mères, apeurés par ces étrangers qui sont venus perturber leurs jeux. Encore une fois des regards étonnés, des sourires, des salutations, et nous voilà devant un porche qui s'ouvre sur la rue. Non, pas celle par laquelle nous sommes entrés, mais une rue parallèle, à 150 m de l'autre. Nous sommes de retour dans Hanoi en plein soleil, celui de toutes les cartes postales. Mais nous avons le sentiment d'avoir traversé plus qu'un tunnel. Nous avons fait un voyage initiatique à la rencontre d'une vie ignorée de la plupart des touristes qui ne voient que les façades des maisons. Nous sommes allés dans le cœur du cœur de Hanoi…

Hanoi décidément n'a pas fini de nous révéler ses secrets ! Si un jour on se croise, je serais heureux de vous les faire partager !

Gérard BONNAFONT/CVN

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