Voici venir le Têt

Concevoir le Têt comme un simple Nouvel An comme en Occident, c’est bien mal connaître le peuple vietnamien. Nanti de lettres de créance respectables, le Nouvel An grégorien n’est pourtant pas arrivé à se faire accréditer en pays vietnamien, surtout dans les campagnes.

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Des Muong de la province de Hoà Binh (Nord) confectionnent des +banh chung+ (gâteaux de riz carrés garnis de viande) pour le Têt.
Photo : Thanh Hà/VNA/CVN

Notre peuple lui rend des hommages polis, mais réserve toute la ferveur de l’âme et du cœur au Têt traditionnel. Plus d’un ami étranger me pose une foule de questions au sujet du Têt. Pourquoi le Nouvel An traditionnel vietnamien crée-t-il une telle intensité auprès de tout un peuple ? Ce qui saute aux yeux, c’est que quelques jours avant et après le Têt, les gares, les stations d’autobus, les aéroports sont bondés de monde alors que tous ces endroits sont désertés pendant les trois jours du Têt.

Partout une ambiance animée

Pourquoi dans tout le pays, les marchés du Têt attirent tant d’acheteurs, de vendeurs et de marchandises, cinq, dix fois et même plus que d’ordinaire ? Pendant plusieurs mois, toute une section de l’économie est mobilisée pour la production d’articles du Têt. Et des centaines de camions qui apportent de la forêt des tonnes de feuilles de dong (feuilles de phrynium) pour envelopper les gâteaux rituels de banh chung (gâteaux de riz carrés garnis de viande).

Pourquoi cette atmosphère d’allégresse, de joie et de relaxation qui baigne êtres, et choses pendant le Têt et qui se prolonge parfois plusieurs mois avec des fêtes printanières à la campagne ? Elle se reflète dans une floraison de journaux et de revues du Têt dont le tirage est doublé ou triplé. Cette ambiance du Têt n’est pas un phénomène nouveau.

Voici ce qu’a noté à Huê, il y a plus d’un siècle, un médecin militaire français accompagnant les troupes expéditionnaires au Tonkin : «Pendant près d’un mois, les indigènes, riches et pauvres, vont cesser toutes leurs occupations et passer leur temps à boire, à manger et à se divertir. Plus de commerce, plus de travaux des champs…» (Docteur Hocquard, Une campagne au Tonkin, 1892).

Le Têt est une fête mobile qui tombe toujours entre la dernière décade de janvier et la seconde de février. Pour un peuple de paysans attaché depuis des millénaires à la terre, il a été et reste avant tout une fête de communion de l’homme avec la nature. Dans le rythme des saisons, il marque un temps de pause durant lequel la rizière et le cultivateur goûtent la joie du repos complet après douze lunes de travail. Quang Trung, le dirigeant de la plus grande révolution paysanne de notre histoire, a dû en 1789 faire célébrer quelques jours à l’avance ces traditionnelles festivités pour pouvoir lancer à temps une attaque décisive contre l’armée d’invasion mandchoue campée à Hanoï.

Marché aux fleurs de Van Phuc, dans l’arrondissement de Hà Dông (Hanoï),
à l’approche du Têt traditionnel.

Au cours de cette période de renouveau universel, l’homme du Vietnam sent sourdre en lui la sève printanière qui agit comme une eau de Jouvence purificatrice. De cette sensation presque impersonnelle, sont nées de charmantes coutumes : tout acte de l’An Neuf doit être pur et beau, car il constitue un augure engageant les douze lunes qui suivent.

Trois jours durant, on évite de se mettre en colère, de se dire des mots grossiers, la belle-mère la plus acariâtre fait la paix avec sa bru, les époux en désaccord s’efforcent de se sourire, il faut que le monde «neuf» soit le meilleur des mondes. Le temps du repos sacré écoulé, on reprend les activités avec une âme «neuve», après les cérémonies «d’ouverture» : «ouverture du sillon» pour le paysan, «ouverture des sceaux» pour le fonctionnaire, «ouverture du pinceau» pour le lettré, «ouverture du magasin» pour le commerçant...

Le temps des retrouvailles familliales

Le Têt, c’est aussi la fête de la famille et du patelin. Dans le temps, le villageois quittait rarement la haie de bambous, et ceux qui ne pouvaient pas rejoindre le foyer pendant le Têt, souffraient avec acuité du «mal du pays». Il est de règle que tous les membres de la grande famille «mangent le Têt» ensemble sous le même toit. Les enfants promettent d’être sages, les grandes personnes leur distribuent des étrennes enveloppées dans du papier écarlate. Les amis et connaissances échangent des vœux que les générations anciennes voulaient «homériques».

La société des vivants se réjouit sous l’œil bienveillant des ancêtres, invités à revenir passer quelque temps au monde de l’éphémère. Plusieurs fois par jour, on brûle des baguettes d’encens, on renouvelle les victuailles, l’eau pure, les fleurs et les chiques de bétel exposées en offrande sur l’autel. Les tombes reçoivent des soins pieux, en général avant que l’An ancien n’expire. On en renouvelle les clôtures, on les débarrasse des mauvaises herbes.

Le Têt vietnamien, c’est la communion de tout un peuple dans un idéal de paix, de concorde, d’amour du semblable, je n’en connais pas d’autres manifestations grégaires aussi humanistes. Peut-être que mon ami, le sociologue américain

G. Katsiaficas, disciple de Marcuse, pourrait le prendre comme exemple pour illustrer sa thèse de «pulsion de vie» (Eros) qui unit les hommes collectivement, par opposition aux «pulsions de mort» (Thanatos).


Huu Ngoc/CVN

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