Union libre ou mariage ?

Au Vietnam, au cours de la deuxième moitié du XXe siècle, la famille reste une valeur sociale fondamentale. L’union libre y reste un «concubinage» presque illégal, au lieu d’être baptisée «cohabitation» ou «union libre». Huu Ngoc fait, dans cet article, une petite enquête sur l’union libre en Suède.

 

Huu Ngoc.

Nous nous sommes rencontrés dans la salle de lecture de la Bibliothèque royale de Stockholm. Cheveux blonds, yeux bleus, taille au-dessus de la moyenne, l’ingénieur Nelsson, 27 ans, est le type parfait de la femme nordique. En prenant le café, nous avons passé un bon moment à deviser de choses et d’autres. J’apprends que ce qu’elle aime le plus dans la vie, c’est sa liberté. Comme tous ses jeunes compatriotes, elle préfère habiter seule bien qu’elle adore sa mère. Sa maison est une villa de six chambres, à vingt-cinq minutes de métro de la capitale. Abordant la question de famille et du mariage, je demande à Nelsson :
- Est-ce vrai que dans votre pays, l’union libre est chose ordinaire ?
- Oui, ce phénomène est entré dans nos mœurs. On ne se préoccupe plus de savoir si un couple est marié ou non. Affaire strictement personnelle.
- Et vous, qu’est-ce que vous en pensez ?
- Il va sans dire que je choisisse l’union libre.

Au bout d’une ou de plusieurs années, si ça marche, on célébrera le mariage… surtout si on a un enfant. Depuis quelques années, le mariage et la vie en famille sont revalorisés.
À Göteborg, je suis hébergé pendant une semaine par un couple mixte entre deux âges, très sympathique. Mme Amita, Suédoise, est une intellectuelle. Professeur, elle vaque toute la journée aux activités professionnelles et aux affaires sociales, ne rentrant que le soir à la maison. M. Gachon, cuisinier français, n’a décroché que le certificat d’étude primaire. Ils se sont rencontrés quand ils prenaient leurs vacances en Espagne. Il se sont aimés, lui avait 28 ans, elle 24 ans. Après avoir suivi un cours en France, elle lui a dit : «Si l’envie te prend de connaître mon pays, viens avec moi !... Il l’a suivie en Suède. Depuis une dizaine d’années, ils cohabitent en parfait accord».
Mme Amita me dit : «Ce n’est pas la bénédiction à l’église ou la reconnaissance légale qui assure le bonheur. L’union libre favorise l’entraide et le respect mutuel et ne banalise pas la vie maritale».

L’écart du niveau culturel, un handicap ?

Je demande à M. Gachon :
«Est-ce que la différence de niveau culturel est un handicap pour la vie commune ?». Il me répond : «Mais non. Nous sommes complémentaires. Ma compagne sait tout, comprend tout, j’admire son érudition. Moi, je suis un expert en travail manuel. Je me charge des travaux menus à la maison. En Suède, j’ai commencé par apprendre la langue pour travailler ensuite comme mécanicien chez Volvo. À force d’économie, j’ai fini par acquérir une boutique vendant l’argenterie de Thaïlande qui me fait vivre avec aisance. Dans le même appartement, nous faisons chambre à part, chacun ayant ses propres chats à fouetter. Naturellement, on partage les joies et les peines. On discute ouvertement des affaires politiques, mais chacun garde ses convictions. Aux prochaines élections, elle votera pour la gauche, moi pour les modérés conservateur».

Au Vietnam, le mariage est considéré comme une procédure par laquelle toute personne souhaitant fonder une famille doit obligatoirement passer.


Loin d’être l’apanage suédois, l’union libre a été adoptée par les Américains et les Européens depuis quelques décennies. Elle est l’aboutissement d’un processus complexe et long : la femme libérée du poids du ménage, son intégration intensive dans les activités sociales, son indépendance économique, la révolution sexuelle, le développement de l’individualisme.
Raisons de ceux qui renoncent au mariage
L’union libre n’implique pas l’affranchissement de toute règle sociale, la course sexuelle débridée, l’absence de toute responsabilité. Il me semble qu’en Suède, l’éthique de ce phénomène a été formulée en particulier il y a plus d’un siècle et demi par Almqvist (1793-1866), grand écrivain romantique et réaliste, dans son récit Cela va qui expose sa défense de l’union libre. Disciple de Rousseau, il prêche des relations entre homme et femme basées sur la communion des âmes et l’indépendance matérielle. Le récit met en scène la rencontre dans une chaloupe du sous-officier Albert avec Sara, jeune directrice dynamique d’un atelier de fabrication de vitres. Ecœuré par le mauvais traitement de sa mère par son père, elle renonce au mariage. Au cours du voyage, Albert et Sara s’aiment et échangent leur idée sur la vie commune.
Sara dit : «Tu m’aimes, je t’aime, c’est une vérité. C’est déjà trop beau ! Mais si nous voulons avoir en plus en commun un fatras de choses futiles, qu’est-ce qui arrivera ? Si tu prends ma petite maison, mon atelier et mon argent, qu’est-ce qui se passera ? Ces biens en eux-mêmes ne sont rien, mais leur valeur en tant que fruit de mon travail est très grande pour moi, d’où mon indignation. Peut-être que mon souci n’est pas fondé, mais Albert, c’est une véritable peur. Dès que tu auras perçu cette peur, mon irritation commence. Et notre colère est née. Si nous deux réprimons cette colère, elle continuera en sourdine, nous gaspillerons notre âme et notre corps. Ma peau perdra de plus en plus son éclat, tu n’oseras pas le dire mais tu le penseras. Tu me diras des paroles de consolation, mais quoi que tu puisses dire, ce sera mensonge pour moi. Tu finiras par te lasser, puisque tu es comme moi un être humain. Je suis certaine que tu ne m’aimeras plus comme auparavant parce que ma beauté se fane, mais surtout parce que je suis devenue irascible, chagrine, méchante. Je deviendrai insupportable. Les serments d’amour sont vides de sens quand on ne peut préserver ce qui ne peut être préservé : jusqu’à maintenant, j’ai dit que je me rendrai insupportable, mais il se peut que tu te rendes toi aussi insupportable. Quelle consolation boutique. Le client entre et demande la marchandise de l’enseigne, laquelle n’existe pas. Furieux, il s’en va après avoir craché sur l’enseigne. J’ai vu quelques heureux, non à cause des bénédictions nuptiales mais parce qu’ils s’entendent corps et âme au moins jusqu’à un certain degré, cela seul importe. Je crois que l’homme et la femme ne doivent pas être liés en toute chose, parce que ceux qui s’aiment prêtent trop d’attention mutuelle, il sont prompts à chercher noise, se blessant mutuellement plus facile que ceux qui voient les choses de manière objective.
- Encore ceci, tes occupations t’obligent à voyager beaucoup, n’est-ce pas ?
- C’est vrai. Je dois voyager, c’est inévitable.
- Ce sera une joie de penser à toi pendant ton absence. Une double joie chaque fois que tu reviens.
- O mon Dieu !
- C’est ainsi que l’amour peut durer. Tu me verras moins chagrine, moins insupportable… Oui, aux moment où la rencontre ne s’avère pas nécessaire, ce sera la même chose pour toi, Albert, parce que tu es un être humain comme moi, il est des moments où je n’aimerais pas te rencontrer.
- Si tu es malade, pourrai-je m’asseoir à ton chevet ?
- Cela dépend, cher Albert, de la nature de ma maladie. Je préférais à mon chevet la présence de ma servante Mary, qui me soignerait mieux. Seulement, si je suis sur le point de mourir, j’aimerais que tu viennes à moi dans ma chambre, parce que je voudrais que ta main soit le dernier objet que je baiserais en ce monde.

Huu Ngoc/CVN

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