Dans la ville de Quy Nhon, province de Binh Dinh (Centre), Vu Ngoc Liên est connu comme le loup blanc. On le pare de différents qualificatifs : chanteur, artiste, animateur, chercheur, spécialiste… de hat bôi. "On me connaît bien par ici pour la simple et bonne raison que tous les gens de Binh Dinh aiment follement cet art", explique-t-il.
Ce vieil artiste de 87 ans n'a rien perdu de son allant, de son agilité d'esprit et aussi de sa passion ardente pour le hat bôi. Ces 60 dernières années, il n'a cessé d'étudier cet art de sa province natale et est l'auteur d'ouvrages de recherche, de critiques et même d'airs. "Mais vraiment, je ne suis qu'un +compilateur+", explique-t-il avec modestie. Son livre Compilation au long de la route, publié en janvier 2011, fait partie des ouvrages de référence auxquels il s'est donné corps et âme.
Le hat bôi dans les veines
Tous les jours, à 08h00 du matin, le vieil artiste - chercheur s'assoie devant sa table de travail sur laquelle trônent des piles de livres. "Je suis en train d'écrire un nouvel ouvrage. J'ai beaucoup de projets sur le hat bôi, et je ne peux pas faire autrement que de continuer…", confie-t-il avec un sourire. Enthousiaste, il révèle que son Quynh Phu Nguyên Diêu - ông dô nghê si (littéralement : Quynh Phu Nguyên Diêu - un lettré- artiste), de 700 pages, qu'il vient d'achever, sera prochainement publié par les Éditions Sân Khâu (Art scénique). Et d'expliquer que ce travail de recherche porte sur Nguyên Diêu, un lettré et chanteur renommé qui fut le maître de l'artiste Dào Tân, considéré comme le "Génie tutélaire" du hat bôi de Binh Dinh.
Vu Ngoc Liên est attaché au hat bôi depuis sa jeunesse. "Cet art vocal est pour moi une sorte de prédestination", avoue-t-il. Après la victoire de la Révolution d'Août (en 1945), le jeune résistant Vu Ngoc Liên est nommé président du Comité de résistance de la commune de Ly Nhon, dans la banlieue de la ville de Quy Nhon, province de Binh Dinh (Centre). C'est là sa terre natale et aussi le berceau du hat bôi. Afin d'entretenir les forces militaires locales, Ngoc Liên crée une troupe de hat bôi pour "gagner de l'argent". Des représentations sont organisées ici et là dans la région, soutenues par un public connaisseur. L'effectif d'"artistes" étant insuffisant, le jeune dirigeant de la commune se porte volontaire pour jouer différents personnages. Doué pour cet art, Ngoc Liên finit par se tailler une certaine renommée. Il avoue : "Si la situation pécuniaire de la commune n'avait pas été si difficile en ce temps-là, je n'aurais probablement pas suivi cette carrière artistique". Vu Ngoc Liên est recruté dans le Théâtre de tuông (théâtre classique) du Centre, avant que ce dernier ne rejoigne en 1954 le Nord. Quelques temps après, il est envoyé à l'Académie de chant classique de Pékin. Là, il a fait une thèse sur le hat bôi.
Ces 60 dernières années, il a écrit de nombreux livres et documents de valeur, totalisant des dizaines de milliers de pages. Sans oublier des activités d'animation qu'il a menées inlassablement dans toutes les régions du pays.
En 2000, la troupe de Théâtre classique Dào Tân lui a proposé de récrire une ancienne pièce de tuông en vue de la jouer à Munich (Allemagne). "Malgré mes 76 ans, je me sentais en pleine forme et plein d'enthousiasme pour récrire la pièce et accompagner la troupe en Allemagne. La source de cette vigueur, c'est ma passion pour le hat bôi", affirme-t-il.
"C'est un art scénique ancestral des plus nobles, ajoute-t-il. J'ai décidé, au début des années 2000, de faire un travail de recherche particulier : trouver un phénomène représentatif pour l'art du hat bôi, à travers une célébrité : Dào Tân". Avec comme résultats : trois tomes sur Dào Tân, le maître et auteur d'innombrables pièces de hat bôi, publiés par les Editions Sân Khâu. "Vraiment, Dào Tân est digne d'être le Shakespeare du Vietnam !", s'exclame le chercheur. Et d'espérer que cet homme sera reconnu un jour comme une célébrité culturelle du monde.
Avec un brin d'orgueil, Ngoc Liên révèle qu'outre Quynh Phu Nguyên Diêu - ông dô nghê si qui va bientôt être présenté au public, il compte encore trois autres livres "prêts à être mis sous presse".
Animé par un amour infini pour le hat bôi, Vu Ngoc Liên travaille sans répit. Il ne cache pourtant pas son souci devant la désaffection de la jeunesse actuelle pour cet art traditionnel. "J'ai une ambition ardente, celle de redonner au hat bôi une nouvelle jeunesse".
Nghia Dàn/CVN