La vie des arts plastiques au Vietnam se résume à un tableau aux couleurs sombres. Les beaux-arts n'attirent pas le grand public. Ceux qui savent admirer et estimer ces arts à leur juste valeur sont une infime minorité. Les collectionneurs du pays se comptent sur les doigts de la main. L'éducation artistique, précisément sur les beaux-arts, ne fait pas partie du programme scolaire.
Il n'y a pas encore de véritable marché de l'art au Vietnam. Les galeries d'art comptent leurs clients parmi les collectionneurs, touristes étrangers et Viêt kiêu. "Le marché de l'art et des œuvres picturales connaîtront une vraie stabilité si 70% des clients des galeries sont des collectionneurs et amoureux des arts nationaux", estime la galeriste Trân Thi Thu Hà, patronne de la galerie Tu Do, la première galerie privée ayant obtenu la licence après la réunification nationale en 1975 (voir page 9).
Tandis que les clients des galeries nationales sont majoritairement étrangers, le nombre de toiles vendues est modeste, pour ne pas dire que nombre d'entre elles ne trouvent d'acquéreur.
Dans les grandes villes comme Hanoi et Hô Chi Minh-Ville, les galeries proposent deux catégories de toiles : la première, les créations artistiques, est réservée aux collectionneurs, tandis que la seconde proposent des tableaux d'ornement pour les maisons, bureaux, petits hôtels et restaurants... La plupart des galeries, pour pouvoir exister, doivent suivre les tendances du marché, ce qui implique de proposer des "produits" hélas d'une grande banalité : paysages naturels, natures mortes, jolies demoiselles... Quant aux peintres, ce sont ceux qui se sont engouffrés dans ce créneau qui gagnent le mieux leur vie... Ces toiles ne demandent en effet aucune réflexion, proposant des couleurs claires, vivantes, propres, des structures, formes et traits convenables à la décoration des maisons modernes...
Les copies de tableaux se vendent bien
Tandis que les galeristes rencontrent beaucoup de difficultés pour vendre les œuvres d'art, les magasins spécialisés dans la vente de copies de toiles ont poussé comme les champignons après la pluie. À Hô Chi Minh-Ville, il y en a toute une flopée le long des axes Nguyên Huê, Bùi Viên, Dông Khoi, dans le 1er arrondissement.
Auparavant, il était presque impossible de trouver des reproductions d'un tableau célèbre. Aujourd'hui, le rêve de décorer son salon avec le sourire mystérieux de la Joconde est devenu possible avec la naissance du métier de reproduction les tableaux. Le niveau de vie augmente. Orner sa maison de tableaux est à la mode. Mais les œuvres originales sont bien entendu inabordables. Acheter une copie est donc une alternative à moindre frais, d'autant que la plupart de ces acquéreurs n'ont que des connaissances fragmentaires sur les Beaux-arts, ne s'intéressant ni de près à la qualité, ni aux significations profondes que revêt un vrai tableau.
Le marché des toiles reproduites à Hô Chi Minh-Ville se distingue des autres. Dans le 1er arrondissement, les axes tels Nguyên Huê, Dông Khoi et Bùi Viên proposent des toiles à des prix élevés. Leurs clients sont pour la plupart des touristes étrangers. Et les copies de tableaux y sont vendues au minimum quelques centaines de dollars, pouvant grimper jusqu'à mille dollars... Si l'on veut acheter des tableaux moins coûteux, il faut se rendre rue Nam Ky Khoi Nghia, toujours dans le 1er arrondissement.
Au marché des tableaux de la rue de Trân Phu, dans le 5e arrondissement, toutes les catégories de toiles sont disponibles, vendues entre 500.000 dôngs et plus d'un million de dôngs chacune. On y vend également des produits importés de Chine. Il s'agit de tableau et de gravures sur bois produits à la chaîne, avec des prix compris entre 100.000 et 200.000 dôngs.
L'ouvrier chargé de faire les copies des œuvres originales reçoit entre 150.000 et 400.000 dôngs pour chaque toile, conformément à la difficulté du travail et au temps que cela prend. En moyenne, la reproduction d'un tableau prend au réalisateur trois ou quatre jours. Pour les œuvres difficiles à copier, il lui faut une semaine de travail. Le revenu mensuel d'un "copieur" est de 2-3 millions de dôngs. Et les travailleurs les plus performants perçoivent 4-5 millions de dôngs, voire plus.
Il faut aujourd'hui créer un marché de l'art national avec les collectionneurs et adeptes des arts nationaux. Les créations des peintres vietnamiens ont besoin de recevoir l'intérêt, l'admiration et l'estimation de leurs compatriotes. Ce sont les goûts esthétiques du public national qui "orientent" les styles des peintres, les tendances artistiques nationales... "Ce sont aussi les Vietnamiens qui conserveront et promouvront l'art national", affirme le peintre Nguyên Xuân Tiêp, ancien directeur adjoint du Musée des beaux-arts du Vietnam. En bref, avec un vrai marché de l'art national, les collectionneurs et amoureux des arts du cru favoriseront l'essor des Beaux-arts du pays.
Créer un marché de l'art digne de ce nom
Récemment, plusieurs critiques et journalistes de presse ont montré que pas mal de jeunes peintres vietnamiens copiaient l'idée, voire la structure, la façon d'utiliser les couleurs du mouvement Pop'art ou encore de peintres chinois ou indonésiens... Un phénomène explicable, d'après des professionnels, par le fait que le pays ne dispose pas pour le moment d'un marché propre de l'art, et que les Vietnamiens dans leur immense majorité ne nourrissent aucune sensibilité particulière pour les beaux-arts du pays. Les arts plastiques nationaux dépendent ainsi des tendances, du style et des goûts étrangers... Les peintres qui veulent vendre leurs créations aux collectionneurs étrangers doivent donc répondre, dans une certaine mesure, à ces critères.
Il faut également créer des centres de vente aux enchères des œuvres d'art, des lieux de rencontre et d'échange entre les peintres, critiques, experts et amoureux d'art. Ces adresses contribueront à stimuler les échanges commerciaux ce domaine et à susciter l'intérêt du public pour les arts plastiques. En plus, l'esprit d'indépendance, l'audace, l'engagement des peintres vietnamiens, des jeunes artistes surtout, sont indispensables pour que les beaux-arts nationaux puissent se façonner une identité propre et se distinguer du reste du monde.
Hoàng Hoa/CVN