Depuis une vingtaine d'années, la galerie Tu Do, sise dans le 1er arrondissement de Hô Chi Minh-Ville, est un lieu d'art prestigieux dans le milieu des peintres, des collectionneurs et des négociants d'art. Ouverte en 1989, Tu Do est la première galerie privée ayant obtenu la licence au Vietnam après la réunification nationale en 1975.
"Notre galerie a été créée par hasard", confie Trân Thi Thu Hà, sa propriétaire. "En 1989, nous avons réparé notre maison au 142, rue Dông Khoi, 1er arrondissement de Hô Chi Minh-Ville, pour ouvrir un commerce d'objets d'art. Quand les travaux furent achevés, le peintre Nguyên Tuân Khanh, par l'intermédiaire d'un ami de mon mari, nous a proposé de mettre à sa disposition des locaux pour organiser une exposition individuelle. Une idée originale, pourquoi pas en effet ? D'ailleurs la maison était vide, et nous avons accepté", se souvient-elle.
À cette époque, c'était un événement sans précédent, la demande d'une licence pour l'organisation d'une exposition étant particulièrement coûteuse en temps, mais ils l'ont finalement obtenue. "Le vernissage a retenu un intérêt soutenu du public. Outre d'autres peintres, cet événement a réuni beaucoup de gens venus par pure curiosité. Comme la salle d'exposition était assez petite, on ne pouvait pas accueillir autant de personnes en même temps et beaucoup ont dû rester dehors, la rue de Dông Khoi connaissant un embouteillage pour l'occasion", se rappelle la patronne de la galerie Tu Do.
"Les premières journées de l'exposition, nous n'avons accueilli que des visiteurs. Mais le jour de la clôture, nous avons vendu plus de trois quarts des 80 œuvres exposées. C'était étonnant ! Les acheteurs sont venus de Taiwan, dont un collectionneur qui en a acheté beaucoup", fait savoir Thu Hà. Un petit détail à préciser, c'étaient pour la plupart des œuvres de petite taille. Il y a plus de 20 ans, les peintres étaient pauvres. De modestes moyens avec une incidence certaine sur les créations des artistes, ne pouvant acheter de grande toile faute de moyen…, explique-t-elle.
Après cette première exposition réussie, de nombreux peintres ont demandé aux propriétaires de la maison de poursuivre dans la même voie. Après réflexion, Thu Hà et son époux ont décidé d'annuler leur projet de commerce d'objets d'art pour ouvrir une galerie. "En bref, nous sommes dans cette activité de par de pures circonstances fortuites", affirme la galeriste. À cette époque, les peintres manquaient de lieux d'exposition pour leurs oeuvres. Dans la galerie Tu Do, les expositions se sont donc enchaînées les unes après les autres : l'une s'achevant l'après-midi étant suivie d'une autre le lendemain matin...
Une galeriste également peintre
Pour ces galeristes, le commerce de peintures était un domaine tout neuf. Au début, ils ne savaient pas déterminer le prix d'un tableau, c'était les peintres qui le faisaient. Avec le temps, ils ont acquis de l'expérience, apprenant les gammes de prix acceptable sur le marché. Ils ont aussi étudié sérieusement les beaux-arts, outre toutes les connaissances acquises à la fréquentation des artistes.
Après une première année, Thu Hà a commencé à apprendre à dessiner. "Prendre le pinceau me donne de la joie et peu à peu, c'est devenu une seconde carrière", avoue-t-elle. Ce sont les peintres qui apprécient ses toiles. "Ils forment un jury expérimenté, rigoureux et sévère, mais aussi ouvert et prêt à partager leurs expériences. J'ai beaucoup appris de mes maîtres. Si j'allais à l'école des beaux-arts, il me faudrait six ou sept années d'études. En apprenant par le travail, j'ai économisé beaucoup de temps", dit-elle. Une année plus tard encore, Thu Hà a fait sa première exposition personnelle.
En ce mois de décembre, la peintre Thu Hà organise encore une fois une exposition personnelle en l'honneur de ses 20 ans de peinture. Et c'est peut-être la dernière expo de la galerie Tu Do. "Nous comptons nous retirer des affaires. L'âge et la santé ne nous permettent plus de continuer de tenir cette galerie", explique la galeriste.
La dernière expo de Tu Do
Durant ces 22 années, Thu Hà et son mari ont réussi à créer une galerie prestigieuse, bénéficiant de l'admiration du public, des collectionneurs comme de la presse. Ils ont présenté de nombreux peintres talentueux qui depuis sont devenus célèbres. La galerie Tu Do s'est surtout axée sur la peinture contemporaine et les jeunes artistes de diverses écoles comme l'impressionnisme, l'expressionnisme... La galerie a également organisé des expos pour présenter plusieurs peintres étrangers au public national. Avec ces succès, les vieux galeristes souhaitent encore davantage que leur héritage soit transmis à leurs enfants. Comme ces derniers sont établis aux États-Unis, la galerie Tu Do va donc déménager."Si nous pouvons ouvrir une bonne galerie aux États-Unis afin de faire connaître les beaux-arts du Vietnam, ce sera un grand progrès", déclare Thu Hà. Aux États-Unis, nous avons l'intention de collectionner les toiles de peintres vietnamiens mais aussi de Viêt kiêu, fait savoir la galeriste. Elle croit qu'avec sa connaissance des beaux-arts, de l'histoire de ceux du Vietnam, la tradition familiale de galeriste et l'expérience acquise durant leurs années de vie aux États-Unis, ses enfants continueront le travail de leurs parents.
En 2003, la galerie Tu Do a ouvert une succursale Tu Do Art à Houston (Texas), et quatre années plus tard, Tu Do Art a déménagé à San Francisco (Californie).
La plupart des galeries au Vietnam ne vivent pas longtemps. Certaines existent seulement une génération, faute d'héritier souhaitant poursuivre, ce qui est regrettable, dit la patronne de la galerie Tu Do, avant d'ajouter qu'il "faut avoir des galeries qui existent longtemps, acquièrent du prestige, conservent des archives systématiquement. Cela permettra des recherches de professionnels comme cela promouvra le développement des beaux-arts du Vietnam".
Xuân Lôc/CVN