Une ruelle qui remue

Ce n’est pas parce que l’on habite dans une petite ruelle qu’il ne se passe rien autour de chez soi. Petites scènes...

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À Hanoi, les moments calmes se font rares sur la route. Il n’est pas toujours évident de se frayer un chemin dans les rues de Hanoi, pour plein de raisons.
Photo : CTV/CVN

Comme à l’habitude, quand je manque d’inspiration pour répondre aux exigences de ma chronique hebdomadaire, je m’accoude à la balustrade de mon balcon pour trouver sujet à vous décrire un petit bout de vie quotidienne au Vietnam. Mais d’abord, plantons le décor !

Ma petite ruelle, «ngách» comme on dit ici, se niche dans un lacis d’autres ruelles identiques, entre ville et fleuve. D’un côté, la grande avenue qui conduit au cœur de la ville ; de l’autre, les jardins de kumquats qui ouvrent vers la coulée verte des bananeraies sur les rives du fleuve Rouge.

C’est la campagne à la ville. Et même si les maisons s’y tutoient d’un peu trop près, même si à la moindre pluie, les égouts ont tendance à afficher complet, même si on ne peut y accéder qu’à pied ou en deux-roues, je ne l’échangerai pour rien au monde contre les belles avenues, lisses et fades des beaux quartiers. C’est qu’elle en a du caractère ma ruelle, ou plutôt ceux qui y habitent. Tenez, regardez un peu !

Jappements en tout genre

Ma voisine de droite vient d’ouvrir la grille de sa courette pour permettre à ses chiens de s’ébattre un peu. C’est le début d’un scénario bien huilé qui se répète à l’envi. Aussitôt ma chienne se met à frétiller, jetant des regards désespérés dans ma direction pour que je lui ouvre la porte, histoire d’aller jouer avec ses copains canidés.

Mais ma chienne n’est pas la seule à frétiller, si je peux me permettre cette expression : ma voisine de gauche aussi ! Dame acariâtre s’il en est, elle ne supporte pas la vue du moindre animal. Pour elle, un chien ne peut être cause que d’immondices nauséabonds et flaques intempestives sur le sol.

Depuis longtemps déjà, l’amicale des propriétaires de chiens de la ruelle sait bien qu’il ne fait pas bon laisser errer l’un ou l’autre devant sa maison. Les coups de bâton tombent plus drus que pluie en juillet. Aussi avons-nous établi un périmètre interdit que nos compagnons à quatre pattes ont appris à respecter.

Cependant, cette négociation territoriale ne suffit pas à notre vindicative voisine, qui, dès qu’elle perçoit un jappement de joie, un bruit de pattes sur le ciment, sort de chez elle, afin de veiller à la propreté de la ruelle. Vigie redoutable, elle admoneste, vilipende, houspille, sermonne, propriétaires et animaux, jusqu’à ce que chacun regagne ses pénates.

À vrai dire, cela ressemble un peu à un jeu. Personne n’écoute ce qu’elle dit, mais sa présence nous manquerait et assurément nous serions très inquiets si nous ne la voyions pas apparaître à l’heure de la promenade de nos animaux de compagnie. Les chiens et la voisine rentrés, c’est la voix d’un haut-parleur qui retentit.

Un homme à moto, attelée d’une remorque, remonte la ruelle, en laissant le soin à son magnétophone de nous annoncer qu’il achète papiers, cartons et ferraille. Des ménagères le hèlent, troquent leurs vieux cartons et emballages contre quelques milliers de dôngs. J’ai toujours trouvé fort intelligent cette forme de recyclage. Il est plus incitatif de gagner un peu d’argent en faisant le tri que de payer si on ne le fait pas !

Après le récupérateur, c’est un cireur de chaussures qui apparaît. Portant à son épaule sa boîte à cirage, et en bandoulière quelques semelles, sans doute parfumées à la cannelle, il propose ses services en les scandant à haute voix.

Cris de toutes sortes

Des boutiques se situent même dans un "ngách" (petite ruelle).
Photo : CTV/CVN

Je me souviens de son passage chez nous la semaine dernière : ma femme l’avait littéralement happé devant la maison, et lui avait tendu deux paires de chaussures à remettre flambant neuf.

Il était entré dans la cour, s’était assis sur un minuscule banc en bois. Appuyé contre le mur humide de la dernière pluie, il avait commencé à frotter vigoureusement la poussière des souliers. Je lui avais proposé une chaise pour qu’il soit plus à l’aise. Il l’avait refusée et, pour le coup, c’était moi qui me sentais mal à l’aise de le voir ainsi travailler à même le sol. J’avais voulu lui offrir un jus de fruit, il s’était contenté d’un verre d’eau. À m’inquiéter de lui, je sentais qu’il était gêné.

Je l’ai laissé à ses occupations, vaquant aux miennes, en me disant qu’ils étaient nombreux, ceux que je croisais, à faire des petits boulots dans ces conditions. De quoi remettre de temps à autre les pendules à l’heure !

Et puisque nous parlons d’heure, c’est une clochette qui me signale l’arrivée des éboueuses, poussant leur chariot pour ramasser les sacs à ordures qui attendent devant les maisons. Leur passage coïncide avec la sortie des écoles, et c’est une procession de mamans empressées qui envahit la ruelle pour aller chercher leur progéniture.

Quelques minutes d’un calme troublé par les cris d’un bébé qui me parviennent à travers une fenêtre ouverte, et les conséquences de la procession maternelle apparaissent à l’entrée de la ruelle : des écoliers en uniformes qui reprennent possession d’un territoire abandonné le matin même, en piaillant comme des moineaux.

Ma fille est parmi eux. Pour le moment, en grande conversation avec deux copines sur un sujet mystérieux dont je n’aurai la teneur que si la discussion s’achève par un désaccord. Sinon, cela restera à jamais du domaine des secrets d’enfants !

Derrière la grille, ma chienne, qui a senti sa jeune maîtresse, jappe à en faire fuir un rat qui traînait dans le coin. Je lui ouvre la grille, elle se précipite comme une boule dans un jeu de quilles. Ma voisine, celle qui n’aime pas les chiens, sort aussitôt. Ma fille et ses copines gratouillent à qui mieux-mieux ma chienne qui se tord de bonheur par terre.

D’autres portes s’ouvrent, d’autres enfants gratouillent leurs animaux favoris. Des motos zigzaguent entre bipèdes et quadrupèdes. Des papiers de bonbons et de gâteaux jonchent le sol, nettoyé quelques minutes auparavant. Une grand’mère, sac de légumes au bras, manque de se faire renverser par la horde d’enfants. Des excuses, des rires, des cris, des aboiements. Ma ruelle a pris sa vitesse de croisière. Il est temps de cesser de rêvasser, et de m’installer pour écrire cette tranche de vie. Voyons, par quoi commencer ?

Gérard BONNAFONT/CVN

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