Une odeur de madeleine

Toujours un coin qui me rappelle chantait le vieil Eddy. J’ose la comparaison en affirmant qu’en flânant dans les rues, il y a parfois une odeur qui me rappelle…

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Vietnamien ou Français, avec le pain, on ne reste jamais sur sa faim.
Photo: ST/CVN

On dit qu’on emporte sa Patrie à la semelle de ses souliers. Sans doute, faut-il chausser une pointure généreuse pour réussir à transporter tous ses souvenirs et habitudes quand on change de pays. Mais en ce qui me concerne, ce sont des odeurs familières qui parfois font ressurgir en moi la nostalgie de temps anciens. Et, après 15 années passées au Vietnam, force m’est de constater que certaines odeurs familières peu connues des nez locaux ont fini par acquérir droit de cité.

Pain pas perdu

L’une d’entre elles me rappelle les petits matins quand l’aurore peine encore à percer les voiles de l’obscurité nocturne. L’heure où les noctambules repus de plaisirs et de bamboches regagnent de guingois leurs pénates. L’heure où l’équipe de jour prend la relève. L’heure où le routier épuisé après une nuit blanche s’accorde un petit noir bien serré. L’heure où le voyageur se hâte pour ne pas manquer le premier train du matin. L’heure où dans les boulangeries, les premières fournées s’étirent et croustillent de bonheur sur les étalages. Qui n’a jamais connu la jouissance de saliver à l’odeur du pain fraîchement cuit ne peut comprendre le bonheur d’une journée qui commence. Enfin, ceci valant pour qui, après sevrage, la tartine beurrée du petit déjeuner a remplacé le sein maternel.

Au Vietnam, c’est plutôt l’odeur mi-suave mi-épicée du phở (soupe de nouille à la viande de bœuf ou de poulet) qui réjouit les papilles et l’odorat. C’était devrais-je dire!

En effet, même si le pho est loin d’être détrôné, le pain s’invite de plus en plus au petit déjeuner. Il prend souvent la forme d’un sandwich adapté au goût vietnamien. Le bánh mì (sandwich vietnamien), tel est son nom, est composé d’une baguette croustillante tartinée de pâté de foie et d’un peu de mayonnaise, agrémenté d’une garniture à la viande, de crudités aigres-douces et fraîches, et parfumé à la coriandre et au piment. Le tout est arrosé de quelques gouttes de sauce de soja. Parfois aussi, en place du pâté, une omelette cuite à cœur. Bon, effectivement, ça peut décontenancer un palais habitué au fromage, beurre, confiture, mais reste ce qui fait son charme ultime: le pain. Et, sous quelques latitudes que ce soit, l’odeur du pain reste celle que j’ai connu tout enfant et qui me rappelle les petits matins…

D’ailleurs, il y a une odeur cousine qui s’installe tout doucement dans le paysage olfactif vietnamien. Un mélange entre une odeur de beurre fondu, de sucre et parfois de chocolat. Créé sous les remparts de Vienne il y a plusieurs siècles, le croissant prend tout doucement sa place sur les comptoirs des pâtisseries du côté du fleuve Rouge comme du Mékong. Avec lui, toute une ribambelle de brioches, pains au chocolat ou aux raisins, tartelettes et mille-feuilles qui se payent le culot de s’afficher sous des noms comme Paris Gâteaux, Une journée à Paris… comme pour mieux annoncer la saveur. Mon nez en frémit de fierté.

Des crêpes françaises.
Photo: CTV/CVN

Crêpe à galette

Il existe une autre odeur qui vient réveiller la madeleine en moi. Celle-là naît aussi de la cuisson d’une pâte où le lait, l’œuf, le sucre et la farine se mêlent harmonieusement. J’avais plutôt l’habitude de la voir s’étaler comme son nom l’indique, puis prendre corps doucement du côté du Finistère.

Quand je suis arrivé au Vietnam, j’avais bien vu que de ce côté-là du monde, on connaissait la crêpe, puisque c’est d’elle dont il s’agit. Mais, les bánh xèo (sorte de crêpe vietnamienne fourrée) et bánh cuôn (raviolis) n’ont rien de commun avec la crêpe bretonne. L’odeur de la pâte de riz ne chatouille pas mes narines ni n’excite mes papilles comme celle de la farine de blé ou de sarrasin.

Aussi, quelle joie de voir apparaître depuis quelque temps de petits éventaires sur lesquels deux rondes plaques de fonte n’attendent que la louchée de pâte à crêpes qui leur permettra de donner naissance à une fine et souple feuille croustillante. Ici encore, l’odeur du beurre fondu se conjugue avec celle du sucre, du chocolat, du fruit, du fromage ou de l’œuf, selon ce que l’on répand sur la crêpe.

Si je ferme les yeux, je revois les fêtes foraines de mon enfance quand trop petit, pour voir l’alchimie qui se jouait sur les crêpières, j’attendais avec impatience que le magicien qui officiait me tende un cornet de papier duquel dépassait la corolle d’une crêpe fumante et parfumée.

Cette impatience gourmande, je la retrouve dans le regard des petits Vietnamiens qui trépignent devant les mêmes plaques à crêpes que celles de mon enfance. Un de mes amis a eu la bonne idée, pour arrondir ses fins de mois, d’ouvrir un comptoir à crêpes devant sa maison.

Placé à 100 m de l’entrée d’une école, il ouvre son comptoir pour la rentrée du matin et pour la sortie de fin d’après-midi. Après une formation intensive dans ma cuisine, sous la férule avisée d’une mienne belle-sœur bretonne, venue passer quelques jours au Vietnam, il a acquis les bases d’une bonne pâte à crêpe, les rudiments de la virtuosité pour faire sauter la crêpe dans la poêle, s’est exercé à étendre la pâte sur la plaque à l’aide d’une spatule, et s’était aussitôt mis au travail.

Pour donner encore plus de goût à ses crêpes, je lui fournis régulièrement des pots de confitures maisons, directement venus de France, au gré de visites que je reçois.

Du cassis, des reines-claudes, des griottes, autant de saveurs inconnues au Vietnam dans des crêpes made in Long Biên. Ça a de la gueule, même pour ceux qui pourraient faire fine bouche. Depuis, le succès ne se dément pas, à tel point que la concurrence s’est vite installée. Environ 300 m plus loin, un autre comptoir à crêpes a surgi. Qui, pour se différencier des "Bánh kếp Pháp" (crêpe française) s’affichant en couleurs sur le comptoir de mon ami, a inscrit en grosses lettres sur sa devanture: "Bánh kếp Thái Lan" (crêpe thaïlandaise)…

À ce jour, j’en suis encore à me demander quelle est la particularité de la crêpe thaïlandaise!? Hormis, le pancake thaïlandais qui est à la crêpe française ce que l’orge est au café. Pour se faire de la galette que ne prétend-on pas!

Il y a toujours une odeur qui me rappelle...


Gérard BONNAFONT/CVN

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