Hôi An, province de Quang Nam (Centre), le paradis des tailleurs. |
Photo: ST/CVN |
J’ai fait connaissance du tailleur vietnamien lors de mon installation dans ce pays. Ce jour de juin, à défaut d’avoir emporté ma Patrie à la semelle de mes souliers, j’avais apporté, dans deux énormes valises, toute ma garde-robe, plus quelques objets sentimentalement importants. Énorme aussi était l’excédent de poids que j’avais dû régler à l’enregistrement.
Mes bagages et moi-même avons fait un long voyage qui, après une longue escale en un autre pays du continent asiatique, s’était achevé à l’aéroport de Nôi Bài, à Hanoï. Du moins, en ce qui me concerne, car mes malles étaient restées en carafe quelque part entre la France et le Vietnam. Si le premier jour, j’espérais encore qu’elles ne tarderaient pas à me rejoindre; le second jour, j’ai dû me rendre à l’évidence: on ne savait pas où ces infidèles m’avaient abandonnées et on ne pouvait pas me dire dans combien de temps je retrouverais mon attirail vestimentaire…
Des mesures démesurées
Quand on n’a pour tout vêtement qu’un pantalon fripé et un tee-shirt fatigué, avec pour perspective de devoir mariner dans son jus pendant plusieurs jours, le choix est vite fait: il faut investir dans des tenues. L’idée me paraissait séduisante et, frétillant comme une midinette qui va à son premier bal, je commençais une longue journée de lèche-vitrine, qui devait aboutir à me constituer un trousseau digne de ce nom. Du moins, le pensé-je. Mais dès mon premier magasin, j’ai senti le vent de la défaite.
J’ai vite découvert ma démesure pour les vêtements sur-mesure locaux. Même le XL ici ne pouvait contenir toute… ma plénitude d’Occidental bien en chair (C’était avant que mon épouse ne s’occupe de ma sculpture physique, à coup de rameur et de marche forcée quotidienne). Je me voyais déjà obligé de conserver sur moi ces vêtements portés depuis trois jours, qui d’infects deviendraient infâmes, puis haillons, me transformant en un va-nu-pieds totalement infréquentable.
C’est en voyant ma mine défaite qu’un ami m’a conseillé d’aller chez un tailleur. Sur le coup, je l’ai regardé en pensant que si l’idée n’était pas mauvaise pour mon image, elle l’était beaucoup moins pour mon porte-monnaie.
À midi, j’étais mesuré.
En soirée, j’étais essayé.
Et le lendemain matin, j’étais livré.
En une journée, j’avais un habillement digne de ce nom.
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Pour moi, le tailleur c’était réservé aux très grandes occasions ou aux très grandes fortunes. Mais quand il m’a annoncé les prix pratiqués, j’ai dû lui faire répéter deux ou trois fois. Je pouvais me faire équiper de pied en cape, pour le prix de la cape en France. Pourquoi s’en priver? Et c’est d’un pas à nouveau alerte que je me suis rendu chez le tailleur que m’avait indiqué mon ami.
En l’espace de quelques minutes, je me suis retrouvé avec une multitude de tissus à tâter, de couleurs à assortir, de modèles à choisir: chemises, pantalons, veste… Un vrai paradis de la confection!
À peine ai-je fixé mon choix que le tailleur me propose de passer derrière un rideau pour me dévêtir. Adieu oripeaux honnis, me voici en toute petite tenue attendant le maître du mètre qui doit mesurer mes abattis.
Et s’il est des moments de grande solitude, celui-ci en fut un... En effet, alors que je m’attendais à un tête-à-tête viril, quelle ne fut pas ma surprise de voir le rideau laisser passer une jeune femme. Il faut dire qu’en Europe, en règle générale, le tailleur pour homme est un homme et qu’il n’est pas coutume de confier ses mesures à une dame. Surtout quand, comme moi, elles sont généreuses (les mesures, pas les dames).
Alors qu’elle égrenait d’une voix sereine mes improbables mensurations, je me suis rappelé avec terreur avoir fait réaliser un costume sur mesure, quelques années auparavant en France.
Et pour tailler le pantalon, l’homme de l’art m’avait posé une question qui déjà m’avait un peu gêné, car elle concernait la position naturelle d’une partie anatomique spécifiquement masculine. J’avais d’ailleurs appris, à cette occasion, que le fait d’être à gauche ou à droite n’était pas réservé à la politique. C’est donc avec une crispation au creux de l’estomac que je voyais s’achever les mesures des chemises et approcher celles du pantalon.
Coupe de maître
Outre les beaux paysages et les produits agricoles de renom, le tailleur est considéré comme une spécialité vietnamienne. |
Photo: Archives/CVN |
La question ne fut jamais posée! Peut-être ma tenue était-elle sans équivoque, toujours est-il qu’au premier essayage, mes nouveaux vêtements avaient parfaitement adopté mes courbes naturelles. Ce fut aussi, pour moi, l’occasion d’admirer la célérité et l’adresse des Vietnamiens.
À midi, j’étais mesuré. En soirée, j’étais essayé. Et le lendemain matin, j’étais livré. En une journée, j’avais récupéré ma dignité et un habillement digne de ce nom.
Depuis cette aventure, et même après avoir retrouvé mes valises, je continue à me vêtir sur mesure. Surtout depuis que j’ai découvert le paradis des tailleurs: Hôi An, dans la province de Quang Nam (Centre). C’est au cours de mes nombreux séjours dans cette vieille ville que j’ai déniché un as du mètre ruban et du ciseau qui arrive à me couper un costume en quelques heures. Avec lui, je me transforme en grand couturier. Je m’amuse à picorer une forme de col sur une veste, un type de poche sur une autre, un style de boutonnage sur une troisième… Je choisis avec délectation les tissus: cachemire, coton, coton-soie, laine, velours. Toutes les textures me passent entre les mains pour finir sur mon dos.
Mais ce que je préfère, c’est quand la mère de mon enfant éprouve l’envie de se commander un áo dài. Célèbre robe traditionnelle vietnamienne (prononcez ao yài au Sud et ao zài au Nord), ce vêtement est porté notamment lors de cérémonies. Il signifie littéralement en vietnamien "longue robe".
Terriblement sexy, il se compose de deux parures: la robe plutôt moulante sur la partie supérieure avec une fente de part et d’autre des jambes à partir du bassin, et un long pantalon en soie, ample, le plus souvent blanc. Quand ma femme déroule les longs rouleaux de soie ou de satin velouté pour assortir les couleurs, le magasin se transforme en une serre tropicale ou d’immenses papillons déploieraient des ailes d’or, de pourpre, d’azur ou d’autres nuances impossibles à décrire. Magique tout simplement!
C’est certain: au Vietnam, se faire tailler un costard est une partie de plaisir!
Gérard BONNAFONT/CVN