On ne croit pas si bien dire

On dit d’une expression populaire que c’est une façon imagée d’illustrer un propos. Mais quelle surprise, quand ces expressions deviennent réalité.

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La langue vietnamienne, comme la langue française, n’est pas avare d’expressions issues de la sagesse populaire. Ces expressions sont toujours à prendre au sens figuré. Ainsi, lorsque l’on veut dire de quelqu’un qui en veut toujours plus, il est coutume de dire "Được voi đòi tiên" (L’éléphant obtenu, on réclame une fée!). Il ne viendra jamais à l’esprit de celui qui énonce cette vérité populaire que la personne en question est déjà propriétaire d’un éléphant, et qu’elle a passé une petite annonce dans un journal pour réclamer les services d’une fée. Ou cette autre expression: "Giàu điếc sang đui" (Les riches n’ont pas d’oreilles, les puissants pas d’yeux). Là encore, impensable de croire que la richesse entraîne, ipsofacto, la disparition des organes de l’ouïe, ou que le fait d’avoir un quelconque pouvoir rend le dessus du nez aussi lisse que la peau du crâne. Pourtant, comme au Vietnam, rien n’est impossible, j’ai eu maintes fois l’occasion de constater que le figuré pouvait devenir figuratif. Voici quelques expressions prises au pied de la lettre…


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La langue vietnamienne,
comme la langue française,
n’est pas avare d’expressions
issues de la sagesse populaire.
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Jeter de l’argent par les fenêtres…

La route qui nous conduit dans un petit village, hors de Hanoï, est belle, et pour l’heure, peu fréquentée. Dans la voiture, le moral est comme le temps: au beau fixe. Je devise tranquillement avec nos passagers, tandis que le chauffeur se consacre à une part importante de sa mission: être attentif à tout ce qui circule sur la chaussée. Justement arrive sur nous un convoi de trois bus, dont le premier arbore sur sa calandre une grande gerbe funéraire, reconnaissable aux nombreuses fleurs blanches qui la composent en grande partie. Tout en donnant un coup de volant pour se serrer sur la droite et céder le passage au convoi, notre chauffeur plonge la main dans le vide-poche du tableau de bord, pour se saisir d’un billet de 1.000 dôngs, qu’il jette par la fenêtre, au passage du premier bus.

Étonnement de nos passagers qui pensent, de prime abord, que notre conducteur s’est libéré, sans vergogne, d’un papier inutile, en le jetant sur la chaussée. Étonnement scandalisé d’ailleurs, car outre l’inconvenance écologique, ils y voient aussi un irrespect total pour le défunt et sa famille que nous venons de croiser. Je n’ai pas le temps de fournir une explication plausible que notre pilote réitère son geste avant que le convoi ne s’achève. Je sens mes passagers à deux doigts d’expulser le grossier personnage, ce qui aurait pour effet de nous mettre dans une situation pour le moins délicate en matière de sécurité routière.

Heureusement, avant qu’ils n’en arrivent à cette extrémité, je leur explique qu’au Vietnam, il est de tradition de jeter de l’argent au passage d’un convoi mortuaire. Souvent ce sont des petits papiers dorés qui sont utilisés à l’occasion, mais faute de merles on mange des grives, alors de la menue monnaie peut remplir cette office. Rassérénés, mes passagers abandonnent leur projet d’expulsion et portent un regard plus apaisé sur celui qui tient le volant (heureusement pour nous tous!), tout en se disant que, quand même, "jeter de l’argent par les fenêtres", il faut venir ici pour voir ça!

Monter au filet n’est pas qu’une image, également.
Photo: Trung Nghia/VNA/CVN

… Ou s’envoyer en l’air

L’expression est utilisée pour désigner des modes transports que la décence m’interdit de nommer ici, et pour en désigner l’indicible résultat. Elle peut passer pour triviale et souvent on lui substitue une éventuelle montée au 7° Ciel, ascension qui serait source d’extase indescriptible. Autant dire que tout ceci relève de la sphère privée, voire intime.

Et pourtant, au Vietnam, on peut s’envoyer en l’air en place publique. Si, si, j’en ai été bien des fois le spectateur médusé à défaut d’en être un acteur. Tenez regardez, ces hommes et femmes, dans la pleine force de l’âge, qui forme un cercle au milieu de ce petit parc. L’un d’eux envoie en l’air, une sorte de volant à plumes, monté sur des rondelles de caoutchouc qui font office de ressort. Le but est simple: une fois en l’air, le volant ne doit plus jamais toucher le sol, ou du moins doit en rester éloigné le plus longtemps possible. Pour cela chaque joueur peut le réceptionner avec n’importe quelle partie du corps et le renvoyer illico à son état aérien avec la même partie ou une autre. Exemple, je reçois le volant sur mon épaule, de laquelle je le renvoie à distance pour le frapper sèchement avec le pied, de manière à ce qu’il puisse être récupéré par un autre joueur. Ce qui rend le jeu plus difficile, c’est que le volant est, par essence, un objet capricieux qui suit des trajectoires erratiques et qui n’a qu’une envie: retrouver le plancher des vaches.

Inutile de dire que ces sympathiques ruminants se contrefichent des péripéties du stupide objet, ce qui est loin d’être le cas des joueurs de đá cầu (nom officiel de ce jeu). Ces derniers, pour maintenir le volant loin du sol, se livrent à des acrobaties dignes des plus grands voltigeurs. Virevoltes aériennes, chassés-croisés retournés, rotations libres, renversements, autant de figures dignes de gymnastes olympiques, qui amènent les joueurs à s’envoyer en l’air… au sens propre (et peut-être, par le plaisir qu’ils y prennent, au sens figuré).

Je pourrais encore évoquer cette fameuse expression: s’envoler en fumée, en décrivant la crémation bimensuelle des offrandes aux génies tutélaires ou aux ancêtres, qui s’effectue dans des petits incinérateurs de fer-blanc sur les trottoirs des grandes villes, ou dans de véritables autels de pierre et de briques, devant les temples ou dans des parcs. Il en existe même un, au pied de mon immeuble. Je pourrais aussi expliquer que, se voiler la face, n’est pas qu’une image, mais bien une réalité, dans ce pays où le masque bucco-nasal fait partie de la panoplie du parfait motocycliste ou piéton des villes... Finalement, tout cela, n’est que façon de parler!


Gérard BONNAFONT/CVN

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