Une année draconienne !

Le 23 janvier 2012 ! Le Chat retourne rejoindre Ông Troi. Nous, pauvres mortels que nous sommes, nous n’aurons plus qu’à nettoyer en vitesse les poils qu’il a laissés sur le canapé et à pousser un peu les meubles pour que le majestueux Dragon vienne étirer ses écailles pendant une année…

Danse de Dragon à l'occasion du Têt.

Déjà un an de passé depuis ma dernière chronique sur le signe de l’année nouvelle… Il est temps de consulter de nouveau mon horoscope pour savoir à quelle sauce le Dragon va me manger en cette année à venir. Que voulez-vous, depuis que je suis au Vietnam, j’y ai pris goût, moi, aux géomanciens, devins et voyants. C’est tellement plus confortable de se dire que si les choses n’arrivent pas comme on les souhaite, ce n’est pas notre faute, mais celle de l’animal qui s’est installé chez nous et qui est sensé veiller sur notre destinée ! Alors, voyons ce que le Dragon amène dans sa hotte !

Sacrée mémoire, le Dragon !

Pour connaître mon avenir, j’ai longuement hésité. Inter-roger le Dragon ? J’ai trop peur en le réveillant avant l’heure qu’il ne m’envoie balader d’un coup de patte au-dessus de la Cordillère annamite, et comme on doit cohabiter pendant un an, autant rester en bon terme ! Étudier les entrailles du Chat ? Serais-je auguré dans la Rome antique que je l’aurais tenté, mais renvoyer le Chat incomplet pourrait être de mauvais augure si le Dragon le croise sur son chemin et s’imagine que je pourrais en faire autant avec lui…

Je me résous donc à la divination informatique, en compulsant fiévreusement les pages d’horoscopes 2012 que m’offre abondamment Internet. Et ça commence mal… À l’article «Signe du Buffle pendant l’année du Dragon», il est écrit : «Rassuré par le faste, il croira le bon temps revenu… Mais ce n’est qu’illusion… Qu’il travaille donc !». Alors ça, j’aurais dû m’y attendre… Le dragon continue à régler ses comptes avec le buffle depuis que celui-ci lui est passé devant lors de la course qui a conduit les animaux vers l’Empereur de Jade. Vous connaissez l’histoire : «Le porc avait réussi à persuader l’Empereur de Jade de le choisir comme juge dans cette course, en classant les animaux par leur valeur. Il commença par faire enrager le tigre et le dragon en les plaçant derrière le rat et le bœuf. Alors, évidemment, ils firent un tel scandale qu’il fallut les apaiser. Le singe dessina sur le front du tigre le caractère roi... qu’il porte toujours pour lui confirmer son titre de souverain des animaux terrestres. Quant au dragon, le coq, qui à l’épo­que portait des cornes, les lui offrit en guise de couronne et il fut consacré roi des animaux aquatiques. Seulement le titre et la couronne n’ont toujours pas apaisé le courroux du prince des eaux et dès qu’il peut jouer un mauvais tour au buffle, il n’hésite pas.»

Alors pensez donc, cette année où c’est lui qui est le patron, le dragon saute sur l’occasion, et du coup, c’est moi pauvre natif du buffle qui en fait les frais !

Sacré caractère, le Dragon !

C’est l’âme en berne que je continue à déchiffrer sur l’écran le triste sort que me réserve cette année. Et soudain, j’exulte de joie, au point de faire aboyer le chien du voisin…

En effet, être buffle ne suffit pas pour connaître précisément les intentions du dragon. Encore faut-il savoir de quel bois je suis fait, ou plutôt de quelle terre ! Car, terre est mon élément, et un buffle de terre n’a rien à voir avec un buffle d’eau ou de métal… Et justement, devant mes yeux émerveillés se dessinent les phrases suivantes : «Buffle de Terre : Rien ne vous paraîtra impossible. Gonflé à bloc, vous mettrez tout en œuvre pour atteindre vos divers objectifs. Et vous réussirez un parcours sans faute. Les difficultés ne vous rebuteront pas». Certes, il faudra toujours trimer, mais au moins la réussite sera au bout. J’en embrasserai presque le dragon sur les naseaux si je ne craignais son haleine… millénaire !

Ragaillardi, je décide d’aller regarder du côté de la chèvre ce qui se passe pour l’année à venir. Que voulez-vous pour être buffle, on n’en est pas moins homme et la curiosité me pousse à savoir ce que le dragon réserve à mon épouse. Et puisque avec elle nous formons un couple, c’est avec délectation que je lis : «Le dieu de la communication chinois : Thiên Su va appuyer un échange positif entre le natif de la chèvre et son partenaire s’il est en couple. La complicité en sera la récompense». Grand merci à ce Thiên Su que je ne connais pas. Il paraît que c’est le dieu de la communication, de la parole, du dialogue… Il faudra que je l’invite un de ces jours pour qu’on discute tous les deux ! En attendant, avec lui, l’année du Dragon s’annonce plutôt pas mal. Et, tout joyeux d’être en possession d’aussi bénéfiques informations, je n’ai qu’une envie : les faire partager à mon épouse. Justement elle est à la cuisine, occupée à préparer le repas. «Em yêu, anh muôn nói…» (Ma chérie, je voudrais dire…). Je n’ai même pas eu le temps de finir ma phrase que déjà je reçois l’ordre impératif d’aller changer la bouteille de gaz qui risque de déclarer forfait avant la fin de la cuisson, puis ensuite de ne pas oublier d’aller chercher ma fille à l’école, en prenant le temps de passer chez le laveur de moto pour récupérer celle qu’elle y a déposé le matin. Et surtout que je ferme bien la porte pour éviter que le chien du voisin (toujours lui) ne vienne faire ses besoins dans notre cour, et aussi que…! Atterré, je ravale mes bonnes nouvelles, en constatant que le Dragon est arrivé chez moi avant l’heure…

En chemin vers l’école, mon téléphone sonne. C’est mon ami Tuân qui me rappelle que je dois finir un dossier avant ce soir, et que je ne dois pas oublier que demain nous avons une réunion de travail toute la matinée, et que… C’est en raccrochant que je me rappelle qu’il est du signe du Dragon !

Ma nuit a été agitée ! Je me voyais entouré de dragons rigolards qui volaient autour de moi en me disant : «Allez bosse ! Vas-y espèce de buffle ! Nous, on est là pour briller de toute notre gloire, et toi pour baisser le front sur la glèbe !». En me réveillant, je me suis dit qu’il fallait que je vérifie le signe de naissance de la journaliste du Courrier du Vietnam qui régulièrement me rappelle que je suis en retard pour mes articles. Je suis certain qu’elle est Dragon ! 

Dernières nouvelles : Je viens de lire que «cette année fera la joie des journalistes, car ils pourront faire des reportages et des interviews aux titres de huit colonnes. Les journaux à sensation n’auront pas à accoucher d’histoires à dormir debout : la réalité sera éminemment plus fracassante». Et si le Buffle devenait Dragon !!!
 

 

GERARD BONNAFONT/CVN

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