Un portrait de Hanoi sous forme de triptyque

Dans Recalling Hanoi, la Marseillaise Julie Vola raconte, en photos et en textes, la capitale vietnamienne au travers de lieux chers à ses habitants. Une approche inédite, où la ville devient une personne à part entière.

Julie Vola.

Photographe, Julie Vola concentre son travail sur les «paysages comme réceptacles de l’Histoire». Depuis cinq ans, la Française de 32 ans a fait de Hanoi son nouvel écrin (voir encadré). Elle a choisi de brosser le portrait de la ville au travers des souvenirs de ses habitants. Des souvenirs circonscrits dans des lieux bien précis. Une rue, un banc, une maison, un lac.

En ressortent 97 histoires courtes - 300 mots au maximum - souvent heureuses, parfois tristes voire héroïques, glanées auprès de citoyens d’âge, de sexe et de couches sociales divers. «Il a fallu énormément condenser. Les gens, notamment plus âgés, ont tendance à s’étendre, commente celle qui a grandi à Marseille. Les convaincre que leur histoire est intéressante n’a pas non plus été facile». Tous les textes, en anglais, sont accompagnés d’un portrait du narrateur ainsi que d’un cliché du lieu en question. S’il a disparu, de son absence. Une structure triptyque qui forme le corps du projet de Julie Vola, intitulé Recalling Hanoi.

Une maison hantée entre Kim Ma et Van Bao

Parmi les souvenirs qu’elle a recueillis, Julie Vola a ses préférés. Celui de Lê Trân Lua par exemple, surnommé l’homme qui a capturé John McCain. «Je n’ai pas l’exclusivité de cette histoire, mais ce n’est pas grave. Elle est tellement géniale», lâche la photographe.

Pilote durant la guerre du Vietnam, le futur homme politique américain a vu son avion touché par un missile en 1967, alors qu’il était en mission. Contraint d’ouvrir son parachute, il a atterri dans le lac Truc Bach. «Lê Trân Lua a vu le crash et le parachute tomber dans le lac. Avant de se rendre sur les lieux de l’accident, il est retourné chez lui pour prendre un couteau, au cas où le pilote serait armé. Il a plongé pour délivrer John McCain de son parachute et l’a ramené sur la berge». Là, les versions diffèrent, le politicien américain dit avoir été battu. Les locaux racontent qu’ils ont appelé la police et simplement attendu qu’elle vienne le chercher. «Je ne cherche pas la vérité journalistique, coupe Julie Vola. Les personnes que j’interviewe ont le droit d’embellir leurs souvenirs».

Julie Vola a recueilli les souvenirs de 97 Hanoïens. Parmi eux, Lê Trân Lua, qu’on surnomme l’homme qui a capturé John McCain, et Nguyên Thi Hiêp.
Photo : Julie Vola/CVN

Grâce à son réseau personnel, mais aussi à celui de ses traductrices, la francophone a multiplié les rencontres. C’est ainsi qu’elle a recueilli le témoignage de Nguyên Thi Hiêp, qui vend du thé au coin des rues Kim Ma et Van Bao. Son histoire est liée à l’ancienne ambassade de Bulgarie, un bâtiment «hanté», qui aurait été construit sur un ancien cimetière. «L’ambassade a déménagé. Mais le loyer aurait été payé pour les cinquante années prochaines, rapporte Julie Vola. Le lieu est donc laissé à l’abandon. Il y a quelques années, deux jeunes y sont entrés. En ressortant, ils ont enfourché leur moto et ont eu un accident quelques mètres plus loin. Ils sont morts tous les deux».

Éviter le masque du sourire

Recalling Hanoi s’inspire-t-il de Humans of New-York, un projet de l’Américain Brandon Stanton qui compile des anecdotes recueillies auprès d’habitants de la grande pomme, décliné pour Hanoi depuis 2014 ? «Non, rétorque Julie Vola. Dans mon travail, la ville est la protagoniste. Elle devient, à travers ses habitants, une personne à part entière. Dans +Humans of New-York+, les anecdotes relatées n’ont pas forcément de liens directs avec leur lieu de vie. D’ailleurs, j’ai commencé mon projet un mois après Brandon Stanton, sans savoir qu’il existait».

Julie Vola a aussi choisi de ne pas privilégier l’instantanéité. Elle est peu présente sur les réseaux sociaux, alors que Humans of New York compte près de 13 millions d’abonnés sur Facebook. Ses photos, prises avec un Holga, un appareil hongkongais dont la lentille est en plastique, sont tirées sur pellicule. «Les clichés ont les coins plus sombres, vignetés dans le jargon photographique. Ils sont flous par endroits, avec un aspect tunnel. Ils sont volontairement imparfaits et donc plus proches de la vision humaine. Ce sont des photos mémorielles».

Les portraits des personnes interviewées par la photographe, diplômée de l’École nationale supérieure de la photographie d’Arles, sont tous cadrés en format américain (mi-cuisse). «Je leur demande de ne pas sourire. Sourire, c’est se mettre un masque. Je leur dit simplement de penser à quelque chose qui les rend heureux».

Arrivée au terme de son projet, Julie Vola est désormais en contact avec différents acteurs culturels de Hanoi afin d’organiser une exposition. «En fonction du succès rencontré, un livre verra peut-être le jour». Elle n’exclut pas non plus d’élargir son projet à l’ensemble du Vietnam.


Sur les traces de son grand-père

L’histoire familiale de Julie Vola est étroitement liée à Hanoi. Son grand-père y est né en 1917. Revenu en France pour ses études, il a fréquenté les bancs de l’école de médecine militaire de Bordeaux. Il est ensuite retourné au Vietnam lors de la guerre d’Indochine, où il a officié en tant que médecin. Quant aux trisaïeuls de Julie Vola, ingénieurs, ils ont construit le chemin de fer entre Hanoi, Lang Son et le port de Hai Phong. «Je ne connaissais pas vraiment ce pan de l’histoire de ma famille avant la mort de mon grand-père, confie Julie Vola. Nous avons alors découvert des archives photos datant du début du XXe siècle». En 2010, la photographe française décide de partir pour un voyage de trois mois au Vietnam, sur les traces de son grand-père. Elle n’en est jamais repartie. «Tout était fantastique, tout me souriait et me fascinait». Outre ses activités de photographe, Julie Vola est également professeure dans un jardin d’enfants et travaille pour le magazine Word Vietnam.


Angélique Rime/CVN

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