>>Un poète et son asile du Nuage Blanc (suite)
>>Un poète et son asile du Nuage Blanc
Dans ce numéro, nous donnons des extraits du Bach Vân am thi tâp (Recueil de poèmes de l’asile du Nuage Blanc) en chinois classique.
Variations poétiques sur l’embarcadère de Trung Tân (1)
À l’horizon de mon asile,
Des hameaux bornent le Couchant (2),
Au Nord-Ouest une rivière,
Un jardin, d’un demi acre à peine, au milieu, proche de l’Asile du Nuage blanc.
La poussière des chars et des chevaux ne vient pas le souiller.
J’y plante, de mes mains, des fleurs et des bambous.
Des fleurs dont le parfum imprègne mon bâton, imprègne mes chaussures,
Des fleurs, dont la couleur, dans les coupes, se mire.
Quand l’eau de la bouilloire est mise pour le thé,
La fumée qui s’élève éloigne les oiseaux ;
Et quand on lave au ruisseau l’écritoire,
Tous les poissons avalent l’encre.
Pour me distraire au long des jours,
Je suis l’inspiration folle de mes poèmes.
Aux vertus de l’alcool se rénovent mes forces,
Tant d’autres sont habiles,
Le Bach Vân am thi tâp (Recueil de poèmes de l’asile du Nuage Blanc) en chinois classique actuellement conservé à la Bibliothèque nationale. |
Et je suis maladroit.
Mais qui ne sait combien
Souvent les maladroits sont des gens de vertu.
Je suis un maladroit,
Les autres sont habiles,
Mais qui ne sait combien
Les habiles souvent sont aussi des brigands !
Seule une âme sereine
Nous permet d’accéder aux lois de l’Univers,
Et la vie dégagée de tous soucis mesquins
Nous permet de saisir les secrets du Passé
Comme ceux du Présent,
Le chemin de la vie est tout semé d’embûches,
Les buissons non taillés sont épines et ronces,
L’âme humaine est pleine d’embûches et de faiblesses,
Si l’on n’y veille, hélas ! tout est piège et démon.
Le sage doit chercher une base solide,
La base la plus sûre est la «perfection accomplie» !
Retraite
Mon âge a dépassé soixante-quatorze ans.
Ô quelle joie de retrouver l’ancien asile,
De jouir au printemps du renouveau des choses.
Chaumière dont les livres sont la seule richesse :
Livres anciens de poésie, livres d’histoire.
Fleurs aux mille couleurs, près des bambous agrestes
Qui donnent leur éclat aux trois mois du printemps.
Un logis vide au lit de repos sans poussière,
Une fenêtre ouverte et pleine de lumière.
Pourquoi chercher en vain qui a tort ou raison ?
Le vieux fou que je suis se moque de lui même,
Et se contente d’être insouciant et paresseux.
Un établissement scolaire dans l’arrondissement de Câu Giây (Hanoi) baptisé au nom de Nguyên Binh Khiêm. |
Méditation
Un Yin est-il passé, que lui succède un Yang (3),
L’alternance est toujours la loi de l’Univers.
Le vent tourbillonnant avec la pluie battante ne peuvent durer la journée.
Les bambous clairsemés ainsi que branches mortes redoutent la rosée.
Sois convaincu qu’un gain finit toujours par une perte, Sage est celui qui prend conscience que la douceur peut triompher de la violence.
Pour connaître la loi de naissance et de retour à la Nature, Étudie avec soin le signe du Thai Cuc (4).
Inspiration poétique
J’ai cherché et trouvé un humble coin de terre près de la source du hameau.
Ma vie est sans passion, je me contente de mon ciel.
Le matin, quand je vais travailler mon jardin, la brume par lambeaux s’accroche à mes chaussures,
Et la nuit, mon sampan, près du rocher pêche, est empli de clarté lunaire.
La réflexion et le calcul au jeu d’échecs commandent le mouvement ou l’immobilité de chaque pièce,
Et la pêche exigeant que le fil soit tendu ou d’autres fois flottant n’a telle pas aussi ses lois ?
Que mes paroles soient transmises à tous les gens des Palais roses et des étages écarlates :
Ne venez pas troubler mon si profond sommeil avec vos chants et vos concerts !
Joie intérieure
Le passé s’en va, le présent le suit, année par année,
Vie et mort sont fixées par le Destin, qui peut échapper aux lois de Nature ?
la rivière trace ses méandres, la barque obéit aux rames,
Redoutant la cravache, le cheval gravit les sentiers abrupts de montagne (5).
Comme la Loi de l’Univers, la Voie Suprême échappe à la parole,
Une inspiration sans limite dépasse brumes et nuages.
Légumes des champs et du jardin suffisent à ma nourriture,
Pleine de verdeur est la vieillesse dans l’ascétisme et la contemplation.
HUU NGOC/CVN
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1.Trung Tân : «Embarcadère du Milieu» : nom donné par le poète à un embarcadère proche de son village où il construisit un refuge pour les voyageurs. Sur la stèle érigée après la construction de ce refuge, le poète a inscrit les raisons de l’appellation : «Milieu» (trung) signifie le Bien parfait, le Bien imparfait ne pouvant être qualifié de Milieu. Tân signifie le lieu où l’on s’embarque. Quand on sait où l’on s’embarque, l’embarcadère est le port de la Vérité primordiale. Quand on l’ignore, il n’est que le port de la Passion et de l’Erreur. Le poème reflète la pensée phlosophique de l’auteur qui cherche la perfection de l’âme dans une vie libérée des passions humaines et de la poursuite des honneurs et des richesses.
2. Littéralement : bornent le Sud-Ouest.
3. Yin, Yang : 2 éléments primordiaux de la doctrine nho (des lettrés) correspondant aux éléments contradictoires de la nature comme femelle et mâle, ténèbres et clarté, nuit et jour, etc.
4. Diagramme du Thai Cuc (Tai Ki) ou Infini créé par Chu Don Di, sous les Song pour illustrer le circuit ininterrompu du flux universel.
5. Les deux vers insistent sur l’idée : il faut obéir aux lois naturelles.