>>Publication d'un livre sur la jeunesse de Vo Nguyên Giap
>>De nombreux visiteurs rendent hommage au général Vo Nguyên Giap
L'écrivaine américaine Lady Borton. |
Photo : CTV/CVN |
Depuis 30 ans, mon amie américaine Lady Borton, écrivaine et activiste sociale, fait la navette entre New York et Hanoi, contribuant au rapprochement entre les peuples américain et vietnamien après la plus longue guerre du siècle passé.
Elle parle parfaitement vietnamien et s’adapte sans peine aux us et coutumes du pays, ayant séjourné plus d’une fois au Vietnam même au cours de la guerre, dans des villages vietnamiens. Elles a écrit des ouvrages sur la guerre et l’après-guerre, témoignages d’un grand intérêt humain et historique, entre autres After sorrow, sans parler de ses études littéraires originales comme Vietnamese poems from Antiquity to the present.
Ces dernières années, elle concentre ses recherches sur Hô Chi Minh, d’où ses nombreux voyages dans le monde pour relever les traces du leader vietnamien menant ses activités révolutionnaires à l’étranger avant le retour au pays. Le premier fruit de son travail est Hô Chi Minh. Ce livre biographique qui a l’apparence d’un modeste ouvrage de vulgarisation, constitue une véritable œuvre de référence par la richesse et la précision de ses informations (textes, photos, statistiques) parfois inédites. Un livre à lire pour ceux qui veulent se donner une idée exacte du Vietnam contemporain.
Un article écrit à l’âge de 15 ans
Vo Nguyên Giap en 1930. |
Photo : QDND/CVN |
Lors d’une récente conversation, elle m’a parlé d’un document qu’elle vient de trouver. Il s’agit d’un article écrit par le général Vo Nguyên Giap (1911-2013) à l’âge de 15 ans. Elle avait été mise sur la piste par un renseignement donné par le général Pham Hông Cu, proche collaborateur et beau-frère du général Giap. On savait que vers 1927, Giap avait écrit un tel article, sur tel ou tel sujet, dans un journal en français publié à Saigon au temps de la colonisation.
Quant à le dénicher, c’est toute une affaire car Giap avait signé avec un pseudonyme. Finalement, Lady Borton a découvert dans une bibliothèque de Seattle l’article de Giap intitulé Huê : Quel singulier régime dans un collège ? signé Trac Anh, paru dans le journal saïgonnais L’Annam (numéro du 24 mars 1927).
Il faut savoir qu’à cette époque-là, l’Indochine française regroupait trois pays : le Vietnam, le Cambodge et le Laos. Afin de diviser pour mieux régner, la France avait séparé le Vietnam en trois parties : le Tonkin et l’Annam (Centre Vietnam) considérés comme «protectorat», et la Cochinchine comme colonie (territoire français). De ce fait, cette dernière jouissait d’une relative liberté de presse.
L’Annam (1927-1928) était un journal en français dirigé par le révolutionnaire Phan Van Truong, Docteur en droit de France. (Le mot Annam désignait le Vietnam au temps des Français, au sens restreint de la partie centrale du Vietnam) Phan Van Truong fut le mentor avisé en journalisme du jeune Hô Chi Minh en France, et plus tard de Vo Nguyên Giap. L’élève Giap a écrit son article quand il était en 2e année du Collège Quôc Hoc à Huê. Le pays était alors secoué par des grèves et manifestations patriotiques à l’occasion de l’arrestation et du jugement de Phan Bôi Châu et des funérailles de Phan Châu Trinh, deux lettrés patriotes très populaires. Giap et 90 autres collégiens ont été chassés des écoles publiques. Ci-dessous l’article du jeune Giap :
Huê : quel singulier régime dans un collège ?
«Depuis que des grèves ont éclaté dans nos établissements scolaires, à la suite des brimades gouvernementales, M. Bourotte, directeur du collège Quôc Hoc, soucieux de voir le mouvement gréviste gagner la jeunesse de Huê, a trouvé opportun de serrer la vis. Depuis, il s’acharne, dit-on, à faire régner au collège un régime des plus scandaleux. Ainsi, M. Bourotte qui, les années précédentes - étant alors professeur - conseillait beaucoup aux élèves de lire des journaux, des manuels pour être au courant des événements ayant trait à l’histoire et à la géographie : lui qui, à plusieurs reprises, leur avait dit sur un ton de reproche aimable : +Vous ne lisez pas assez les journaux + ; eh bien, depuis qu’il est devenu directeur - il y a deux ans de cela, - il a changé totalement de ligne de conduite en faisant une guerre sans merci aux journaux et à leurs jeunes lecteurs. Quel peut être le mobile de ce changement ? On le devine, la méfiance, cette méfiance aujourd’hui chère à nos +civilisateurs+, la peur irrésistible de voir les jeunes annamites au courant des vérités cruelles sur leur pays, des tripotages infâmes de ceux qui s’intitulent leurs protecteurs.
Une exposition de photos sur le général Vo Nguyên Giap organisée par l’Agence Vietnamienne d’Information du 10 au 14 octobre 2013 à son siège social, au 5, rue Ly Thuong Kiêt, Hanoi. |
En outre, M. Bourotte fait chaque jour dépouiller lettres et colis, quels qu’ils soient, avant de les remettre à leurs destinataires, fait confisquer tout livre suspect ; un extrait de la circulaire fantaisiste que voici en fait foi : +les élèves ne doivent lire que des livres revêtus de la signature du directeur+. Bien plus, M. Bourotte fait aposter partout des mouchards. L’esprit toujours en éveil, l’oreille au guet, il perd l’appétit et ne ferme les yeux que fort tard la nuit. Il vient à pas de loup dans les salles d’études, dans les dortoirs, ou se tient en cachette derrière les murs pour surprendre les conversations roulant sur la +politique+.
Ca n’est pas tout. M. Bourotte a l’œil sur tout élève qu’il soupçonne d’avoir fréquenté Phan Bôi Châu et cherche à lui imposer des punitions exorbitantes. Voilà comment M. Bourotte entend bien remplir son devoir, il cherche autant que faire se peut à envelopper les élèves d’un réseau de règlements draconiens. O déhuéistes ! Renoncez à vos utopies. Tant que le régime de non-coopération n’a pas lieu en ce doux pays d’Annam, l’épée de Damoclès est là qui pend plane sur toutes les têtes».
Ainsi, le jeune Giap lance un avertissement cinglant aux autorités françaises en faisant allusion à la non-collaboration avec les colonisateurs appliquée en Inde par Gandhi, politique qui bouleverse l’administration coloniale anglaise.
Huu Ngoc/CVN